L’« État captif »
contesté : Chişinău, dimanche 6 septembre 2015
Après le 5 avril, le 3 mai
et le 7 juin, ce dimanche 6 septembre plusieurs dizaines de
milliers de Moldaves participaient à un meeting de protestation
contre la corruption, conspuaient le gouvernement et exigeaient la
démission du président de la République, la dissolution du
Parlement, de nouvelles élections, etc.
Ils
répondaient à l’appel de la plateforme Dignité et liberté (DA)
une structure qui se veut ouverte, non affiliée politiquement,
coordonnée par un groupe d’initiative, fondée le 24 février
de cette année. A la question de savoir pourquoi ne pas aller
jusqu’au bout et déployer une stratégie politique, un des
fondateurs, Igor Boţan, répondait par exemple : « Ecoutez,
je suis un citoyen et, par mon propre exemple, j’entends inviter
les autres à procéder comme moi »
http://www.noi.md/md/print/news_id/68240.
Par ailleurs, cet analyste politique se déclare partisan d’une
Moldavie indépendante dans le cadre de l’Union européenne.
Cependant, d’autres leaders rappellent que la plateforme, tout en
demeurant civique, a forcément des potentialités politiques.
A l’occasion
de ce rassemblement, une nouvelle proclamation a été votée
réitérant les demandes déjà formulées pour délivrer l’État
de la mainmise de l’« oligarchie criminelle ». Deux
termes reviennent dans ce discours. Celui de stat captiv,
« État captif » et celui de izbăvire, du verbe a
izbăvi, mot rare en roumain qui veut dire « se délivrer »,
« se débarrasser » d’un mal, d’une maladie ou encore
de ses péchés et obtenir ainsi le pardon. Une des rares
personnalités politiques acclamées par les manifestants, Maia
Sandu, ministre de l’Enseignement depuis 2012 et jusqu’au
30 juillet, estimait par exemple le 24 avril, donc à un
moment où elle faisait partie du gouvernement, que « la
Moldavie est un Etat captif » et que « nous n’avons pas
d’institutions de droit, on dirait que nous sommes tombés dans un
comma profond »
(http://www.jurnaltv.md/ro/news/2015/4/24/sandu-moldova-este-un-stat-captiv-10116655
A Chişinău,
parallèlement au rassemblement de la place de la Grande Assemblée
nationale, un tout petit cortège s’est formé à l’appel de
l’Antifa et a tenté, sous la direction de l’ancien député
communiste Grigore Petrenco, d’investir la Procurature générale.
Une vingtaine de personnes s’est retrouvée devant trois fois plus
policiers qui ont procédé à des arrestations. Ces manifestants,
qui avaient déjà fait parler d’eux lors d’une action de
solidarité avec les insurgés du Dombas devant l’ambassade de
l’Ukraine à Chişinău
http://www.courrierdesbalkans.fr/bazar/blogs/l-en-dehors-balkanique-o-le-blog-de-nicolas-trifon/blog-o-fascisme-et-antifascisme-en-moldavie-sur-fond-de-guerre-en-ukraine.html
se réclamaient aussi de la lutte contre la corruption.
La mobilisation
assez exceptionnelle à laquelle on a assisté dimanche a eu droit à
deux analyses et prises de position qui indiquent l’embarras
suscité par le message délivré par les manifestants et leurs
porte-parole.
Sociologue et géopoliticien roumain
assez réputé, longtemps conseiller du gouvernement de l’Alliance
pour l’intégration européenne (AIE), nationaliste, partisan de
l’union avec la Roumanie, Dan Dungaciu est formel : « Une
telle manifestation de protestation sans leader, qui aspire, quoi
qu’en disent ses organisateurs, à devenir un parti, présente un
profond handicap. »
http://www.timpul.md/articol/dan-dungaciu-razboiul-fara-invingatori-de-la-chisinau--protestul-are-lideri-dar-nu-are-lider-78888.html
Il attire
l’attention notamment sur le fait que, par rapport au soulèvement
du 7 avril 2009 qui avaient provoqué la chute des communistes,
peu de jeunes participent à ce mouvement justifié, certes, en
raison du comportement et des erreurs des gouvernants mais dont le
radicalisme ne laisse pas de place au dialogue. Sont dénoncés par
les manifestants pêle-mêle l’ancien Président Voronin, le
libéral Vladimir Filat de l'AIE, l’oligarque Victor Plahotniuc,
« patron » du Parti démocrate, le leader de ce parti
affilié à l’Internationale socialiste Marian Lupu, Igor Dodon du
Parti des socialistes, etc. Enfin, il déplore l’« expulsion »
de la Roumanie, de ses symboles, l’événement lui apparaissant
comme très « moldovéniste », et les ouvertures vers les
partis favorables à Moscou.
Universitaires et chercheurs en
sciences sociales, estimant que la réunification avec la Roumanie
est un « projet périmé »
http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/l-unification-de-la-moldavie-a-la-roumanie-vu-sous-une-perspective-de-gauche.html
Petre Negură et
Vitalie Sprînceană se sont exprimés et ont pris position sur
Platzforma, un site qui publie d’excellentes analyses critiques
mais dont l’audience est très limitée en Moldavie. Ils se
montrent impressionnés par la capacité de mobilisation de la
plateforme DA, par le capital politique accumulé, tout en insistant
sur l’absence d’un programme politique alternatif. Leur
intervention est intitulée : « La démission, très bien,
et maintenant que fait-on ? » Par rapport aux
manifestations organisées par la plateforme DA, il n’y a plus de
slogans « à caractère ethniciste et géopolitique », se
félicitent-ils, tout en estimant que, malgré les efforts des
organisateurs pour placer à la tribune quelques russophones, le
rassemblement était trop « monoethnique et monolingue ».
http://www.platzforma.md/demisia-bun-si-ce-facem-mai-departe
Après avoir
exprimé quelques réserves à propos de l’engouement des
participants pour les animateurs d’un programme humoristique de la
télévision, véritables mascottes de la plateforme DA, Petre Negură
et Vitalie Sprînceană suggèrent aux organisateurs de la plateforme
de s’inspirer en matière de transparence des pratiques des
mouvements socio-politiques Podemos et Syriza. Enfin, à propos du
groupe conduit par Grigore Petrenco qui n’était pas bien venu au
rassemblement et qui c’est dirigé vers la Procurature, ils
déplorent le fait que « la droite et la gauche n’ont pas été
côte à côte dans cette manifestation contre des injustices qui
affectent tout le monde ».
A vrai dire, si
cette assimilation des dizaines de milliers de participants à la
droite est sans doute abusive, la question des Moldaves favorables à
Moscou et d’une grande partie des russophones ne saurait être
éludée.
L’action
certes très minoritaire du groupe Antifa prend une autre dimension
une fois associée à la position défendue par les partis liés à
Moscou, qui s’insurgent aussi contre l’Etat captif et entendent à
leur tour tirer profit des protestations qui ont lieu dans le camp
des pro-européens. Les déclarations du leader du Parti des
socialistes, la première formation politique du pays à l’issue
des dernières élections, à l’occasion de la 24e
anniversaire de l’indépendance, ne laissent pas de doute. Après
avoir dit que la Moldavie a besoin d’un Lukatchenko ou d’un
Poutine, il a rappelé que « son parti veut aussi des élections
anticipées et appelle à la lutte contre les oligarques auxquels il
ajoute partisans de l’union avec la Roumanie.
http://unimedia.info/comunicate/republica-moldova--stat-captiv-si-ruinat-8291.html
Inutile de préciser que les oligarques joue un rôle non négligeable
dans ces partis soutenus par ailleurs par Moscou, mais aussi que
nombre de leurs électeurs sont indignés, à juste titre, par le
comportement prédateur du gouvernement actuel, et entendent exprimer
publiquement leur mécontentement.
Le rassemblement
des manifestants se réclamant de l’Union européenne et de ses
valeurs contre le gouvernement actuel, troisième édition de
l’Alliance pour l’intégration européenne, a eu assez peu d’écho
en Europe et en Roumanie. L’agence Tass signale, en revanche, en
référence à une déclaration du porte-parole de la présidence de
la Fédération de Russie, que Vladimir Poutine est informé sur les
événements. « Le Président suit, bien entendu, ce qui se
passe dans ce pays. Nous suivons avec attention la situation en
République de Moldavie », a-t-il déclaré
Par conséquent,
la menace d’une récupération par les formations favorables à
Moscou et à l’Union douanière de la contestation qui a lieu en ce
moment à l’intérieur des partisans de l’UE existe aussi, et
risque de peser sur les actions à venir de la plateforme DA. D’une
manière quelque peu anecdotique, le site PaginadeRusia. ro suggère
le caractère à la fois atypique et paradoxal de ce mouvement dans
la présentation de l’article qu’il lui consacre : « un
des plus amples mouvements de protestations de la République de
Moldavie, initié par une ONG, Dignité et vérité, a demandé la
démission de l’Etat moldave tout entier. Pratiquement, il ne reste
pas une seule institution étatique qui ne fût atteinte par la plus
intransigeante des revendications : la Démission. »
http://www.paginaderusia.ro/chisinau-cine-sunt-oamenii-din-spatele-miscarii-care-a-cutremurat-statul-moldovean
Nicolas Trifon
9 septembre
2015
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