joi, 8 mai 2025

Arhitect Radu Dragan. Roumanie. 4 mai 2025. Sociologie d’un désastre politique

Ce 4 mai, les Roumains ont été de nouveau appelés aux urnes, pour élire le Président du pays, après l’annulation par le Conseil Constitutionnel du 2e tour des élections en novembre dernier, sur motif d’immixtion d’un pays étranger, euphémisme pour désigner la Russie. Cependant, malgré d’innombrables articles de presse, jamais une source autorisée de l’Etat n’a produit les preuves qui, seules, auraient disqualifié le gagnant du 1er tour, l’inconnu jusqu’alors Calin Georgescu.
De nombreux électeurs se sont sentis floués ; celui-ci empêché de se représenter, ils ont décidé de se venger et tout casser, et ont jeté leur dévolu sur George Simion. Habile, ce dernier a refusé de prendre part aux débats télévisés (il y en a eu trois, tous d’une facture médiocre) entre les 11 candidats. Ensuite, le jour des élections, il est arrivé au bureau de vote accompagné d’un Georgescu détendu et souriant, entourés de gardes de corps. En route, une vieille femme a attrapé la main de M. Georgescu et l’a baisée en signe d’adoration et il s’est laissé faire, avec la magnanimité d’un Messie ; l’image a fait le tour des réseaux sociaux. M. Simion a déclaré solennellement qu’une fois élu, il va réparer l’injustice et va nommer M. Georgescu au poste de Premier Ministre. Il a acquis ainsi le capital politique de ce dernier, en plus du sien, qui n’était pas si grand jusqu’alors.
C’est ainsi qu’il a été voté dans le pays par plus de 40% des électeurs, un score près du double de son concurrent qualifié pour le 2e tour, M. Nicusor Dan, l’actuel maire de Bucarest et mathématicien de haut niveau (il a fait ses études à l’ENA où il a obtenu son doctorat, avant de rentrer au pays et fonder une ONG qu’il transformera en parti, qu’il quittera plus tard, avant de devenir maire).
Cependant, ce n’est pas cette différence de score qui interpelle ; les Roumains vivant à l’étranger l’ont voté dans des proportions encore plus importantes : plus de 60% en France, 74% en Espagne et même 77% en Allemagne. Comment s’explique ce succès écrasant ?
M. Simion est un ancien chef des supporters d’un club de foot bucarestois ; avant de fonder en 2019 son parti AUR (l’Alliance pour l’Unité des Roumains), acronyme qui signifie « or » en roumain, il a dirigé pendant quelques années les manifestations pour l’union de la Moldavie avec la Roumanie (rappelons que la première fût une province roumaine historique, dont elle a été séparée par le pacte germano-soviétique en 1939). Après quelques années de scores plutôt modestes, AUR s’est hissé à la 2ème place aux dernières élections parlementaires, ce qui permettra à M. Simion, s’il sera élu, de provoquer des élections anticipées et mettre en place son plan de faire de M. Georgescu son Premier Ministre.
L’idéologie de son parti n’est pas bien définie, dans la Communauté Européenne et dans l’OTAN mais avec des conditions, arrêt des aides à l’Ukraine, et toute la rengaine souverainiste qui n’est nullement soutenue par la force économique réelle du pays. Elle semble être proche de celle du Fidesz en Hongrie, le parti de M. Orban qui donne tellement de fil à retordre à l’Union Européenne. M. Simion se déclare adepte de Trump, s’exhibe comme celui-ci avec une casquette rouge sur la tête et déclare aussi être proche de Giorgia Melloni ; M. Salvini vient de lui apporter son soutien, tout comme un représentant du mouvement MAGA de Trump et le parti conservateur polonais.
Nous serions alors devant un nouveau cas de percée électorale d’un parti souverainiste conservateur, dont un autre exemple très récent est celui de l’UKIP de Nigel Farage, classé comme la Ligue du Nord de Salvini à l’extrême droite. Ce phénomène, la résurgence des partis conservateurs, réaction pas si surprenante après des années de mondialisation et de libéralisme effréné qui n’ont pas fait que des heureux, ne se limite pas à l’espace européen, si on se souvient que le mouvement MAGA a la même origine, le déclassement des classes moyennes américaines à la suite de la mondialisation, et leur opposition farouche au wokisme, qui semblait inarrêtable, de la société occidentale.
Ce qui frappe cependant c’est l’adhésion massive des Roumains aux thèses souverainistes non seulement dans le pays, où la prospérité récente n’a profité qu’aux habitants des grandes villes, laissant le reste de la population dans la pauvreté et le manque d’éducation, mais surtout des Roumains émigrés pour la plupart depuis des décennies, bien intégrés dans les pays d’accueil : l’Italie, l’Espagne, la Grande Bretagne, la France… Ces gens travaillent dur, ont fait venir leurs familles, leurs enfants vont à l’école et certains ne parlent même plus, ou mal, la langue de leurs parents. Ils ont acheté des maisons, certains ont fondé des sociétés qui marchent bien, et rien ne laisserait supposer qu’ils aient des penchants extrémistes. Je peux en témoigner, ayant rencontré un grand nombre d’entre eux  sur mes chantiers, de leur intégration, de leur esprit travailleur et de leur honnêteté. Comment alors expliquer leur vote ?
Ce que l’on doit observer c’est qu’en France, pour parler des exemples que je connais, ils forment des communautés entières très solidaires, des villages entiers se sont pour ainsi dire « transplantés », depuis les collines transylvaniennes, dans la région parisienne. Seuls les « vieux » sont restés au pays, dans des villages dépeuplés où il n’y a plus guère du travail. Il s’agit d’un phénomène migratoire d’une échelle encore inconnue en Europe, mais qui n’est pas nouveau. A l’époque communiste, des paysans de Moldavie parcouraient la moitié du pays pour venir travailler dans des régions plus prospères de Transylvanie, et ne rentraient que pendant les vacances au village, pour retrouver femmes et enfants ; leur migration n’a fait que changer d’échelle, quand l’ouverture des frontières leur a permis d’aller plus loin.
Comme jadis, ils reviennent au pays périodiquement, à Noël et pendant l’été, quand ils célèbrent les mariages et participent aux moissons. Au village, ils se font construire des maisons imposantes, qu’ils n’habitent pratiquement jamais mais qui sont une preuve de leur réussite, tout comme leurs BMW et Mercedes rutilantes. Ils rentrent ensuite, se promettant de revenir pour y passer leurs vieux jours.
Cette transhumance, qui historiquement est un phénomène très ancien ayant seulement changé d’échelle, fait qu’ils ont gardé, malgré leur apparente intégration dans le monde occidental, un mode de vie et une idéologie archaïque. Leur société reste une société traditionnelle, comme chez les Japonais qui, eux aussi, n’ont adopté le mode de vie occidental qu’en apparence, et je pense que la même chose peut être observée dans le monde arabe, où on pourrait troquer du jour au lendemain la rutilante Ferrari pour un chameau…
L’adoption du mode de vie occidental est, pour ces gens restés des paysans dans l’âme, une convention dont ils peuvent bien se passer ; ils désapprouvent la décadence morale de l’Occident, ne comprennent ni le wokisme, ni le phénomène transgender, ni en général le peu de cas que nous faisons de la morale traditionnelle et de la religion chrétienne. Aux Pâques, le Samedi Saint, ils viennent en nombre à l’église, habillés dans des vêtements populaires, apportent des œufs rouges et des brioches faites maison, que le pope bénit après la messe. Ils ne sont pas pro-russes, ils ne savent rien du passé sulfureux de M. Georgescu, ancien de la Securitate et certainement lié aux services secrets russes,
[Source des informations?] ou s’ils savent cela ne les intéresse pas, car ils voient en lui, tout comme en M. Simion, le héraut du mode de vie traditionnel, qui est le leur.
Il est, bien entendu, fort possible qu’ils aient été aussi manipulés par des agitateurs peu scrupuleux, car ils sont souvent naïfs et ne comprennent pas grand-chose à la politique ; mais ceci n’explique pas cela, ce n’est qu’un autre trait ajouté au tableau. Se dessine ainsi un divorce marqué entre les élites du pays et ces gens simples, que ces élites méprisent, et leur discours rageux devant ce résultat du 1er tour des élections est pour eux inaudible.
Certainement, l’élection de M. Simion sera une catastrophe politique pour la Roumanie, qui risque de retomber sous l’influence russe malgré les dénégations de M. Simion, car une fois la Roumanie sortie du giron occidental, il ne contrôlera plus grand-chose. La situation économique du pays est fragile, malgré la croissance soutenue des dernières années, et sa dette abyssale ; elle a besoin comme de l’air du financement et des investissements occidentaux, qui risquent de se tarir avec un parti souverainiste aux manettes, on le voit bien en Hongrie où le positionnement politique de M. Orban n’a apporté nullement de la prospérité.
Cependant, comment leur en vouloir ? On leur a assené pendant des années que « c’était mieux avant », que pendant le communisme tout appartenait au peuple, tandis que de nos jours tout appartient aux étrangers, que « tous volent », que les politiciens sont tous corrompus jusqu’à la moëlle ; ce qui n’est peut-être pas loin de la vérité. Ils ont vu leurs valeurs anciennes disparaître, ils vivent dans un monde, l’Occident, qu’ils jugent décadent, immoral et corrompu. Ce n’est en fait que la réaction de rejet de la société traditionnelle, la leur, devant une modernité qu’ils ne comprennent ni n’approuvent. Ce vieux monde ne veut pas mourir, pas avant un dernier bras d’honneur. Tant pis pour le prix à payer ; malgré la catastrophe politique qui s’annonce, il me semble difficile de lui en vouloir.

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