Au
moment où le monde entier porte un regard, hagiopgraphique ou au
contraire dénonciateur, envers le meneur de la Révolution cubaine qui
vient de s'éteindre, répéter ce qui se dit ailleurs n'aurait pas été
d'une grande utilité. Il était plus intéressant de sentir l'atmosphère
qu'on veut faire régner dans les anciens « pays frères » de Cuba,
convertis depuis 1989 en factotum de l'hyperpuissance qui n'a jamais été
en état de défaire la petit île rebelle située à quelques miles de ses
côtes.
En
Roumanie, comme en Pologne, comme ailleurs dans le « centre-Est » d'une
Europe désormais en crise, les « élites » politiques, médiatiques,
économiques, intellectuelles, en ont rajouté dans la dénonciation à
l'occasion de la mort de Fidel Castro, par rapport à leurs « modèles »
occidentaux ...Alors que, en réaction, bien souvent les commentaires des
internautes de ces mêmes pays montrent que le citoyen moyen commence à
sortir de l'ambiance empoulée qu'on a voulu lui imposer depuis 1989. Il
faut aller dans les pays post-soviétiques pour trouver chez certains
intellectuels plus de compréhension envers un pays qui a su résister
seul au vent dominant, sans plus posséder aucun arrière. Bref, le
ressenti roumain permet aussi de rappeler quelques évidences concernant
une authentique révolution, celle qui eut lieu à Cuba. « Évidences » que
même ses hagiographes occidentaux ont pu souvent négligé, tant ils
éprouvent de difficulté à comprendre les phénomènes « étranges » et les
schémas mentaux qui traversent des peuples qui ont connu une histoire
tellement plus tragique que ce que leur mémoire et leur imagination peut
encore être en état d'atteindre.
La Rédaction
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Cuba Si… Yankee No… ou Fidel Castro et le « fidelisme » à l’usage des Roumains…
Décembre 2016
Claude Karnoouh
Hormis
quelques intellectuels de gauche ou conservateurs de bon aloi,
c’est-à-dire qui ont compris que l’anticommunisme d’opérette de Roumanie
n’est un simple paravent pour offrir à une droite libérale et très
radicale ou au laisser-aller du sommeil dogmatique typique des
universitaires frileux, poltrons et lâches, mais prétendument
« objectifs » quoique plutôt « abjectif », la mort de Castro a engendré
une masse de commentaires d’une bêtise et d’un analphabétisme politique
et historique confondants. Je sais qu’une mentalité de laquais, souvent
fripons, habite de nombreux intellectuels roumains (heureusement pas
tous), cependant, la mort de Castro a lancé le concours du commentaire
le plus odieux où des records de stupidité ont été atteints. Même un bon
ami que je trouve habituellement un subtil analyste de la société
roumaine, a osé écrire que Castro était (sic !) « un mélange de Ceausescu et de Pàunescu1 ».
Pour avoir le toupet ou, dans son cas, l’inconscience d’écrire une
pareille fadaise, il faut vraiment être profondément ignorant du B.A.-BA
de l’histoire de l’Amérique latine et des mouvements de libération
nationale dans le continent. Si l’on veut jouer à genre de synthèse,
alors Castro serait un mélange de Perón et de Ho-Chi-Minh.
Faut-il
en premier lieu rappeler aux Roumains que le régime communiste cubain
est le produit d’une authentique révolution populaire qui a commencé
dans les montagnes de la Sierra Maestra ayant été précédée par quelques
tentatives sanglantes et échouées d’actions révolutionnaires. Dans les
montagnes, en effet, une poignée d’hommes, essentiellement des
intellectuels, à la fois courageux et déterminés, ont su faire face à
l’adversité d’une dictature sanglante, peu à peu mobiliser d’une part
les étudiants des villes, mais surtout les campesinos des latifundias locales et les ouvriers agricoles de l’United fruit company,
géant de l’agro-alimentaire dans toute l’Amérique centrale et les
Caraïbes, la même qui œuvrait aux Nicaragua sous Somoza, à El Salvador
en finançant les tueurs locaux payés par la CIA, à Haïti en protégeant
Papa Doc, au Guatemala en ayant liquidé un gouvernement national qui
cherchait à renégocier les contrats d’exploitation rurale, etc. En
d’autres mots, la révolution cubaine n’est pas arrivée précédée par les
chars soviétiques, les chars soviétiques ont été donnés ou vendus plus
tard sans les tankistes.
Cuba, un pays de tradition révolutionnaire ancienne
Par
ailleurs il faut savoir que Cuba possède une ancienne tradition de
révolution populaire venue de José Marti, et qui, à la fin du XIXe
siècle, déboucha sur une lutte populaire qui visait à expulser les
Espagnols, mais, les USA intervinrent selon la doctrine Monroe afin
d’éliminer toute possibilité de gouvernement populaire. Voilà comment
Wikipédia résume ce moment : « Les
luttes pour l'indépendance remontent au milieu du XIXe siècle avec la
guerre de dix ans qui débuta en 1868 ; les Etats-Unis intervinrent dans
la guerre d’indépendance cubaine qui avait fait plus de 350 000 morts
civils et militaires depuis son début en 1895 (soit 1/8e de la
population) et occupèrent l'île de 1898 à 1902, puis de 1905 à 1909. Les
États-Unis poursuivirent une ingérence marquée jusqu'en 1934. » Lorsque
Castro et ses compagnons gagnèrent la guerre contre le dictateur
Batista en entrant dans La Havane le premier janvier 1959, il y avait
moins d’un siècle, soixante-dix ans depuis 1880 et 1889, que l’esclavage
avait été aboli à Cuba. On le constate, la révolution, le combat contre
les exploiteurs, et le rapport conflictuel avec les États-Unis est
chose ancienne et familière dans l’histoire moderne de Cuba.
Il faut donc insister une fois encore sur une constatation qui découle
précisément du fait que Cuba n’est pas devenue communiste comme on le
verra plus avant porté par les chars d’une armée étrangère.
Comme
dans tous les pays du tiers-monde, que les communistes locaux soient
présents (cas de la guerre d’Indochine française d’abord, américaine
ensuite) ou absent (cas de Cuba ou d’El Salvador au départ), les guerres
menées contre les dictatures militaires locales en tant qu’agents
compradores des États-Unis sont en premier lieu des guerres sociales de
libération nationale. Partout dans le monde colonial où les guerres
révolutionnaires ont été déclenchées par des militants communistes
appliquant un marxisme-léninisme pur et dur au nom d’une révolution
internationale prolétarienne et urbaine, elles échouèrent lamentablement
dans les plus sanglants des massacres. L’exemple parfait de ces erreurs
de jugement quant à l’état réel de la sociologie locale et donc de
l’objectivité et de la subjectivité du socius
majoritaire nous est donné par la révolution chinoise devenu le modèle
des révolutions rurales du Tiers-monde après l’échec terrible de la
révolte dans Shanghaï dirigée par les « moscovites » du Parti communiste
chinois (PCC).2
Suivit alors la décision des premiers maoïstes de se retirer des
villes, d’entreprendre une retraite, la Longue Marche, pour ensuite
commencer la mobilisation massive des campagnes dont la lutte contre
l’occupant japonais donna une dynamique sans équivalent au PCC et qui
lui permit de vaincre d’abord les Japonais avec l’aide des
nationalistes, puis les nationalistes eux-mêmes aidés par les
États-Unis. Du Mozambique aux îles du Cap Vert, de l’Indochine à
l’Algérie en passant par Cuba, les révolutions ont été populaires,
authentiquement populistes, et n’ont réussi que parce qu’elles avaient
le soutient d’une majorité du petit peuple rural. Que les exploiteurs et
les agents étasuniens aient critiqué et fui Cuba, quoi de plus normal,
cependant la révolution perdura y compris lors de moments très
difficiles, comme après la fin de l’URSS et la crise économique qu’elle
engendra. En effet, tant que le peuple y trouva plus de bienfaits que
d’inconvénients dans ses réalisations, il n’y eut pas de soulèvements
massifs… Tel est le fond de la révolution cubaine et personne n’a vu un
gouvernement qui eût peur de ses citoyens lorsque celui-ci laissa en
armes ses citoyens comme ce fut longtemps le cas à Cuba où, à chaque
coin de rue, on rencontrait des civils armés de fusil au cas où un autre
débarquement eût pu encore avoir lieu après le lamentable échec de la
Baie des cochons.
Les chemins contradictoire d'une révolution
Que
la révolution engendra des mécontents, qu’elle commit des erreurs,
parfois même de graves erreurs, qu’elle pratiqua la répression parfois
d’une manière injuste non pas tant envers ses ennemis objectifs ce qui
semble normal, mais envers ses amis critiques, c’est l’évidence même ;
mais l’évidence est là même de tout pouvoir, voudrait-il être le
meilleur du monde, dès lors qu’il est confronté à un environnement
terriblement hostile, que dis-je, à un environnement de guerre
permanente. Car ce sont des hommes qui font la politique, qui la dirige,
la déploie, et non seulement errare humanum est, mais avant de
jeter la pierre, il faut regarder le contexte dans lequel le pays évolue
et cherche à instaurer ce qui est, au bout du compte, un monde un peu
meilleur pour les plus défavorisés. Or, après le premier janvier 1959,
le contexte de Cuba est devenu très vite extrêmement implacable, avec un
embargo qui dure depuis cinquante-cinq ans et qui présentement commence
à peine à se lever, à moins que Trump n’arrête le processus de
libération amorcé par Obama.
La politique n’est jamais douce, la realpolitik n’est pas du wishful thinking,
sauf peut-être dans les rêves des politologues d’ONG, la politique
étant en son essence la dynamique résultant de rapports de forces, aussi
se tient-elle dans un état de guerres ouvertes ou cachées permanentes :
en politique on est ami ou ennemi, il n’y a pas vraiment d’entre-deux,
malgré des moments d’accalmie, et ce d’autant plus lorsque l’on sait que
le chef de l’État cubain, Fidel Castro, a été l’objet de plus de six
cents tentatives d’assassinat par la CIA d’une part, et que des taupes
étaient plantées dans les hautes sphères de l’État (sa sœur) de l’autre.
Bref, une partie de la rigueur de la répression à Cuba fut le fruit de
l’embargo et des tentatives de renversements menées par la politique
impériale étasunienne. Comme l’avait dit Castro dans un grand et long
discours (dont lui seul avait le secret) « tout peut-être dit dans le
cadre de la Révolution, rien en dehors » ; cela me fit penser, lorsqu’il
la prononça cette phrase, à János Kádár scellant la réconciliation
nationale de 1959 : « Tous ceux qui ne sont pas contre nous, sont avec
nous »3.
Et de toutes les manières ce n’était pas les États-Unis proches avec
leur base-prison et de torture de Guantanamo qui peuvent leur donner des
leçons de gestion humanitaire de l’opposition, quand on apprend que des
gens y ont été détenus une dizaine d’années et relâchés sans aucune
accusation !
Cuba : bilan d'un socialisme populaire
A
Cuba, que cela plaise ou non, cinquante-sept ans de régime castriste
n’ont pas un bilan globalement, et de très loin négatif, sauf pour les
anti-communistes bornés. Trois aspects de la vie sociale caractérisent
les réussites du régime. D’abord la santé publique où une petite île
caraïbe pauvre et victime d’un embargo plus que sévère, a su mettre en
place l’un des meilleurs système sanitaire du monde, à coup sur, le
meilleur du tiers-monde et, qui plus est, a été capable d’exporter des
médecins pour les cliniques et les dispensaires populaires de pays comme
le l’Irak d’Hussein, le Venezuela ou la Bolivie. Mieux, Cuba a
développé deux vaccins, l’un contre la méningite, l’autre contre le
cancer, mais qui ne peuvent être exportés en raison de l’embargo. Même
un journal, on ne peut plus installé dans le Main Stream, comme le Hufftington Post le reconnaît.4
Ensuite
l’éducation. Tous ceux qui ont fréquenté l’île, qui y ont rencontré des
gens, des parents, des élèves, des étudiants, et ceux qui ont lu le
rapport des Nations Unies, y ont appris que ce qui caractérise
l’enseignement cubain c’est bien la haute qualité de ses prestations
depuis le kindergarten jusqu’à l’université, enseignement qui
vise à la promotion des ceux qui, avant 1959, n’auraient jamais pu
imaginer une telle promotion sociale et culturelle, les descendants
noirs et métis d’esclaves laissés jusqu’en 1960 dans un état de quasi
analphabétisme. Certes, les universités cubaines ne sont pas au niveau
des universités du top 100 du monde, mais enfin elles valent bien celles
d’Europe de l’Est. Enfin les académies des beaux-arts ont contribué
très largement à répandre la culture des arts visuels (peinture,
sculpture, dessin, gravure), le cinématographe, la culture musicale et
le ballet de très haut niveau dans les milieux populaires, et last but not least,
il convient d’ajouter à cela la très grande originalité de la musique
populaire cubaine qui est, avec le tango argentin, une musique urbaine
ayant syncrétisé diverses musiques venues d’Espagne, de France, des
divers peuples d’Afrique de l’Ouest ayant fourni la masse des esclaves,
et même d’Asie, musique qui après des succès mondiaux comme le
Cha-cha-cha, le Mambo, le Boléro, le Jazz afro-américain, avait obtenu
en 1998 une reconnaissance mondiale avec le film et la bande son de Buena Vista Social Club ;
quant à la Salsa née dans le ghetto espagnol de New York, elle a obtenu
elle aussi une consécration mondiale grâce aux musiciens cubains.
Pour
réussir ce programme de développement dans un environnement local et
mondial (doctrine Monroe et guerre froide) très hostile, il faut une
politique dure à l’encontre des complotistes potentiels. La leçon du
Guatemala avec, entre autre, le renversement en 1954 par la CIA d’Allen
Dulles sous la couverture d’Eisenhower du réformateur agraire Jacobo
Arbenz Guzmán, puis celle du Chili, n’avait pas été interprétée comme
une situation pouvant alléger le contrôle du Parti communiste cubain et
de sa police sur les dissidents, en particuliers sur des intellectuels
qui dissertaient sans se confronter aux contraintes souvent fatales de
la géopolitique, de la géo-économie et du développement technique. En
effet, l’erreur fatale d’Allende avait été de croire qu’un gouvernement
de coalition de gauche pratiquant une démocratie représentative
classique pouvait engager des réformes radicales du système économique
et social sans l’imposer par la violence aux classes dirigeantes, sans
épurer les forces armées et la police. Aussi, sans dictature minimale,
les gouvernements aux visées révolutionnaires n’ont-ils aucun avenir en
Amérique latine, comme on le constate encore aujourd’hui au Venezuela et
au Brésil où la présidente légalement élue a été débarquée par un
véritable coup de force « constitutionnel » manœuvré par les services
étasuniens qui ne lui ont jamais pardonnée d’avoir fait entrer le Brésil
dans les BRICS.
Cuba et la religion
Dans
tous les commentaires que j’ai lus il y a un aspect de la politique
cubaine mise en place par Castro et son équipe de guérilléros, et ce dès
le début, qui est sans cesse omis, il s’agit de la politique
religieuse. Tous les critiques du castrisme ou comme disent les Cubains
du « fidelismo » mettent en avant la répression qui toucha
longtemps une Église catholique cubaine où la théologie de la libération
n’avait pas sa place. En effet, ce que nombre de commentateurs ou de
critiques ne savent pas ou feignent d’ignorer, c’est que la majorité des
Cubains, dont les noirs et les métis (les plus nombreux dans le pays)
et certains petits blancs, ne sont pas catholiques, mais adeptes de la Santeria,
un culte syncrétique autour d’un dieu fondateur et de ses messagers et
des esprits qu’ils animent ayant pour base la religion des Yorubas (une
population de l’Est du Nigéria à la frontière du Bénin et du Togo) et
qui ressemble par bien des aspects au Candomblé du Brésil5 et au Vaudou haïtien6 (venu
de la religion des Fons du Bénin et du Togo). Les esclaves et leurs
descendants ayant souvent fait comprendre à l’Église catholique qu’ils
croyaient dans les saints chrétiens, alors qu’ils les avaient intégrés
dans leur système de croyance ; ainsi, une sorte de compromis de
défiance réciproque s’installa au tournant des années 1950.
De fait, l’état actuel des croyances à la Havane et à Cuba peut se résumer ainsi : « Malgré
plus de quatre décennies de régime castriste, et un accès aux soins et à
l'instruction gratuit pour tous, la majorité des habitants de la Havane
pratique de plus en plus, et de façon simultanée et complémentaire,
divers cultes tels que la Santeria, le Palo-monte, le spiritisme, et un catholicisme très pragmatique, qu'ils désignent couramment par le terme générique de ‘religion’. » 7
Or, ce mélange de religions pratiquées parfois par les mêmes personnes
était et demeure le fait du peuple, en majorité des noirs et des métis
de tous grades qui sont l’écrasante majorité du peuple cubain… Le régime
castriste a donc protégé, voire parfois renforcé les adeptes de la Santeria des
attaques de l’Église catholique dont les princes, évêques et
archevêques, et souvent les prêtres, sont blancs, les vrais descendants
des colons espagnols, puisque pendant longtemps l’Église de l’Espagne
coloniale puis celle des ex-colonies ont refusé la prêtrise aux
esclaves, aux métis, sans parler des Indiens, totalement exterminés dans
les îles caraïbes.
Ce fut une révolution
Lorsque
les troupes des jeunes intellectuels révolutionnaires sont entrées dans
La Havane le premier janvier 1959, ils étaient accompagnés d’une masse
de guérilleros qui venaient de la campagne, des campesinos des montagnes, des ouvriers agricoles des grandes plantations de l’United fruit,
de toute ou partie de petits employés de province, bref en dehors d’une
microscopique élite d’intellectuels, des gens de peu. Arrivés à La
Havane, se joignit à eux une masse de marginaux produite par
l’exploitation coloniale du pays, y compris des prostituées, une
population importante, tant les casino-bordels y étaient nombreux, de ce
que la Mafia avait fait en une vingtaine d’années le lupanar étasunien.
Même Kennedy avant d’être élu Président s’y rendait pour y passer des
week-end érotiques, invité par la Mafia pour laquelle son père avait
travaillé dans les années 1920. En prenant le parti des pauvres, Castro
et les révolutionnaires cubains ont voulu établir, outre l’équité
sociale, la dignité humaine d’un peuple. En nationalisant les énormes
plantations de cannes à sucre et de tabac, le régime, attentant à la
propriété coloniale des firmes américaines et des latifundiaires locaux a
voulu que l’essentiel du travail profite à ceux qui le font. Voilà qui
était déjà attentatoire au sacro-saint droit de propriété du plus fort
et ce qui a motivé la volonté des États-Unis d’en finir avec les barbudos
devenus des gens gênant et non comme ailleurs des alibis de la
démocratie. Confrontés à ce qui mettait la nation en péril, Castro et
ses compagnons ont été mis devant un dilemme, capituler pour calmer
l’ancien maître et obtenir quelques miettes de concessions ou proclamer
« la Patrie en danger », et se battre avec les moyens disponibles dans
le cadre de la réalité géopolitique du moment, c’est-à-dire demander de
l’aide à l’Union soviétique qui y vit, bien évidemment, son propre
bénéfice comme un moyen très efficace de contrer près de ses frontières
l’expansion impériale étasunienne.
C’est
après ce choix géopolitique et géo-économique fait que le mouvement
castriste se fondit, en même temps que les socialistes, dans un nouveau
Parti communiste cubain, car le premier, très stalinien, avait refusé
l’alliance avec les guerilleros
sous prétexte que les conditions objectives d'une révolution socialiste
n’étaient pas réunie ! Ceux qui aujourd’hui accusent avec une violence
brutale et grossière le régime cubain8
d’une dérive totalitaire devraient revoir un peu la chronologie
historique, non seulement celle de l’histoire récente cubaine, mais
celle de tout le continent caraïbe et sud-américain ?
Il
n’est pas question pour moi de nier certaines dérives autoritaires,
voire paranoïdes du régime cubain, mais à l’heure de la mort de l’un des
plus importants dirigeants du tiers-monde au XXe siècle, un homme dont
le poids dans la politique mondiale est égal à celui de Nehru ou de
Ho-Chi-Minh, d’un dirigeant non seulement objectivement courageux, mais
ayant déployé avec force et talent le sens des réalités sociales de son
pays, tout en possédant une très haute idée de ce que représente la
dignité nationale, je ne pouvais faire qu’un bilan rapide. Voilà un
dirigeant qui, confronté à l’une des plus graves crises politiques et
économiques pouvant toucher un petit pays, le fin des accords
économiques préférentiels avec l’URSS scellés par Gorbatchev, a su, peu à
peu et toujours sous-embargo, trouver les mots pour mobiliser le
peuple, le faire renaître économiquement,9
être l’hôte de trois Papes et enfin du Président des États-Unis Obama
pour de tenter de mettre fin au plus long des embargos économiques de
l’histoire moderne.
Nul
ne connaît le visage du futur que se donnera Cuba dès lors que
s’installe une économie de marché dont on sait qu’elle intensifie les
différences socio-économique, mais une chose est sûre, c’est que la
nouvelle génération de dirigeants qui sont déjà les adjoints de Rául
Castro (qui a 85 ans) devra compter avec le peuple qui, dans
l’arc-en-ciel de ses couleurs de peau10, ne voudra plus jamais que la grande île redevienne la dépendance de l’United Fruit et de la Mafia étasunienne.
Claude Karnoouh
Bucarest le 27 novembre 2016
Notes :
1 Le principal poète de cours de Ceausescu…
2 Ce moment tragique de la révolution chinoise est remarquablement décrit dans le roman d’André Malraux, Les Conquérants, paru en 1928.
3
NDLR. Car à Cuba, la nation avait conquis le pouvoir et les ennemis
étaient soutenus de l'extérieur, en Hongrie le pouvoir avait conquis la
nation et ses ennemis étaient dans la nation. Là-bas il fallait extirper
par la force le facteur extérieur, ici il fallai acquérir en
l'amadouant une base intérieure.
4 http://www.huffingtonpost.com/salim-lamrani/cubas-health-care-system-_b_5649968.html
5 Roger Bastide, Le candomblé de Bahia, Paris, Plon, Paris, 1999.
6 Alfred Métraux, Le vaudou haïtien, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », Gallimard, Paris, 1959, avec une préface de Michel Leiris.
7 cf. Kali Argyriadis, « La Religion à La Havane », Editions des archives contemporaines, thèse de doctorat, EHESS, 1997.
8
Il suffit en Roumanie de lire sur Facebook ou d’écouter les nouvelles
télévisées pour se rendre compte du degré de haine qui anime des gens
qui, pour la plupart ne savent rien de l’histoire d’Amérique latine et
des Caraïbes. Débats et discours qui font froid dans le dos au cas où un
véritable gouvernement un peu plus à droite viendrait à prendre le
pouvoir.
9 Lorraine Karnoouh, À propos de la permanence et du changement dans la Cuba contemporaine : un essai sur la « Période spéciale », in Outre-Terre 2007/1 (n° 18).
10 Cuba castriste est devenu à coup sûr l’un des pays les moins racistes du monde.
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