L'exil roumain en France
Longtemps, les Roumains ont cru que le
premier exilé roumain en France était un ancêtre de Ronsard que le
poète présente dans sa XVIe Elégie qui date de 1554 :
Or quant à mon ancestre, il a tiré
sa race
D'où le glacé Danube est voisin de
la Thrace :
Plus bas que la Hongrie, en une froide
part,
Est un Seigneur nommé le Marquis de
Ronsart,
Riche d'or et de gens, de ville et de
terre.
Un de ses fils puisnez assembla
hazardeux,
Et quittant son pays, faict Capitaine
d'eux…
Et hardy vint servir Philippes de
Valois,
Qui pour lors avoit guerre encontre
les Anglois.
Malheureusement, cette noble
généalogie imaginée par le professeur Jean A. Vaillant et le poète
roumain Vasile Alecsandri dans les 5e et 6e décennies du
XIXe siècle, a été infirmée par les historiens français, et
un spécialiste a même identifié le modèle roumain en la personne
d'un boyard valaque du XVIe siècle qui portait le surnom
"Maracine", l'équivalent de "ronce" en roumain1.
Après cette première ratée, les contacts franco-roumains se font
essentiellement en sens contraire, en général via Constantinople et
le Levant, s'intensifient au XVIIIe siècle et deviennent
réguliers lorsque des précepteurs, des professeurs, des
commerçants, des artisans et des aristocrates français s'installent
dans les deux pays roumains. Deux familles aristocratiques roumaines
au moins ont des ancêtres français sûrs - les secrétaires
princiers Lens (de Linchou de Marseille) et les Millo
(XVIIIe siècle), une autre, les Cazaban, descendent d'un Jean
Cazaban, marchand de Carcassonne sous Louis XIV2.
Le comble est que même le roi Carol I de Hohenzollern-Sigmaringen
(1866-1914) avait huit ancêtres français (dont deux grand-mères
nées respectivement Murat et Beauharnais), un belge et seulement
sept allemands !3
L'imaginaire généalogique des boyards roumains a inventé quelques
ascendants français comme "les Valois de l'an 800"(sic !)
(pour la famille Cantacuzène), les comtes de Baux de Provence (la
famille Bals), Raoul de la Motte Houdar, chevalier croisé de la IIIe
Croisade (famille Lamotescu)4.
Le courant contraire, de Roumanie vers la France, date de la seconde
moitié du XIXe siècle lorsque les Roumains vouent un amour
immodéré à Napoléon III et à la France qui avaient contribué de
façon décisive à la création de l'Etat national (1859). A tel
point qu'apparaît une expression aujourd'hui oubliée mais très
répandue à l'époque, à savoir que "chaque Roumain a deux
patries : la Roumanie et la France". Par conséquent, venir
en France ne signifiait pas un exil, mais tout simplement le
déménagement dans une seconde patrie !
L'exil des Roumains en France -
surtout des Valaques et des Moldaves- commence après la révolution
de 1848 lorsque bon nombre de révolutionnaires échappent aux
autorités ottomanes et russes qui occupent les deux principautés
roumaines et mettent fin au gouvernement provisoire installé à
Bucarest. Un article dans Le Courrier Français du 11 décembre
salue l'arrivée à Paris des "hommes d'élite qui ont préparé
et dirigé le mouvement de Bucarest"5.
Les révolutionnaires vont rentrer au
pays après la Guerre de Crimée et le Congrès de Paris et vont
constituer le noyau du personnel politique de l'Etat roumain réalisé
par l'union de la Moldavie et de la Valachie en 1859 sous la
protection des Grandes Puissances européennes. Aux côtés de leurs
écrits et correspondance, des témoignages de leurs amis français
(Jules Michelet, Edgar Quinet, Paul Bataillard et A.I. Ubicini, pour
ne citer qu'eux), des rapports de police et des articles de presse,
des archives du Grand Orient de France, un autre type de sources
permet de jeter un coup d'oeil dans l'univers de leur vie
quotidienne : il s'agit des registres de baptêmes, de mariages
et de décès de l'église roumaine de Paris ouverte en 1853 dans un
immeuble de la rue Racine et qui va déménager après 1881 au 9, rue
Jean de Beauvais dans l'ancienne chapelle du collège homonyme
achetée par l'Etat roumain6.
On constate ainsi que jusqu'à la Première Guerre Mondiale,
l'émigration roumaine est essentiellement aristocratique et/ou
littéraire bien qu'un grand nombre de Roumains résident à Paris ou
sur la Côte d'Azur pour des périodes plus ou moins longues, et que
rares sont ceux qui choisissent de s'y établir à demeure.
L'exception est fournie par les mariages mixtes, notamment dans les
rangs de la noblesse, car la Roumanie est exportatrice de céréales
qui enrichissent les grands propriétaires terriens disposant
d'énormes domaines, ce qui leur permet de contracter des alliances
avec des familles françaises aristocratiques appauvries7.
Quelques exemples suffiront pour
illustrer notre thèse. Ainsi, les deux derniers princes de Moldavie
et de Valachie d'avant l'union de 1859 ont choisi de s'exiler en
France autour de cette date : il s'agit, pour le premier pays,
de Mihail (Michel) Sturdza (1834-1849), installé à Dieppe, mort à
Paris en 18848,
et de Grigore (Grégoire) Alexandru Ghica (1849-1856) qui se suicide
dans son château de Mée, près de Melun9.
De même, les deux derniers princes de Valachie : Gheorghe
(Georges) Bibescu (Bibesco) (1842-1848), mort à Paris en 1873, qui
laissa une importante postérité en France10,
et son frère et successeur au trône, Barbu Stirbei (1849-1853,
1854-1856), mort à Nice en 1869. Parmi les descendants des grands
boyars (les titres de noblesse ont été abolis dans les Pays
roumains en 1858), notons Ion (Jean) Balaceanu (Bucarest 1828-1914 à
Nice, marié à Angelina Bonfils), homme politique, diplomate,
ministre et mémorialiste11,
Marie Bengescu (1850-1936), historienne de l'art français12,
Georges de Bellio (Bucarest 1828-Paris 1894, marié à Catherine-Rose
Guillemot), grand collectionneur d'art et notamment des
Impressionnistes13,
Elena Vacarescu (Hélène Vacaresco, Bucarest 1864-Paris 1947),
exilée en France en 1891 et dont le nom était porté par le prix
littéraire Femina-Vacaresco14,
le journaliste et polémiste Grigore Ganescu (Grégoire Ganesco,
Craiova 1830-Montmorency 1877)15.
Egalement le tragédien Edouard De Max (Eduard Alexandru Max, Iasi
1865-Paris 1924), sociétaire de la Comédie Française16,
tout comme Jean Yonnel (né Ion Schachmann, Bucarest 1891-Paris
1968), Elvire Popesco (Bucarest 1894-Paris 1993), à Paris depuis
1923, et Marie (Marioara) Ventura (Bucarest 1886/88-Paris 1954), à
Paris 1919 ; la pianiste Clara Haskill (Bucarest, 1895- Suisse,
1960), le dessinateur Pal (Ioan Paleologu, Bucarest 1855- Paris 1942)
et le sculpteur Constantin Brâncusi (Brancusi) (Hobita 1876- Paris,
1957), qui s'est installé à Paris en 1904. Rappelons aussi Bernard
Natan (Iasi 1886-1943 Auschwitz, né Tannenzapf), pionnier du cinéma
muet et propriétaire de la firme Pathé-Natan (1929, faillite 1935
suivie de procès pour escroquerie, arrestation puis déportation17),
enfin le grand philologue Lazar Saineanu (Sainéan) (Ploiesti
1859-Paris 1934), auteur d'ouvrages fondamentaux sur Rabelais et sur
l'Argot français18,
obligé de s'expatrier de Roumanie qui lui refusait la naturalisation
car né de parents juifs (à Paris depuis 1901)19.
Trois médecins au moins sont venus s'ajouter à cette liste :
Constantin Levaditi (1874, Galati - 1983, Paris), Benjamin Schatzman
(1876, Tulcea- 1942, Auschwitz), et Solo Lebovici qui émigre en
France en 190520,
qui seront suivis par des milliers d'autres entre les deux guerres.
Notons également l'installation en France à la fin du XIXe siècle
de l'ingénieur Jean Ipcar (1850 Bucarest-1924) et de son épouse
Annette (1863 Bucarest-1939), les grands-parents du côté maternel
d'Eugène Ionesco, dont la mère, Thérèse, était née en France21.
Et enfin, deux éditeurs, J (ean ? Joseph ?) Gamber,
éditeur universitaire installé 7, rue Danton, à Paris, et Jean
Viziano, connu comme homme d'affaires et francmaçon22.
Nous sommes très mal renseignés sur les gens simples, ouvriers ou
personnel de maison, mais un nom surgit de cette masse anonyme :
Filip, longtemps fonctionnaire à l'ambassade roumaine de Paris, dont
le fils, né à Cannes en 1922, sera le grand acteur Gérard Philipe.
Il faut noter que Filip père a essayé de défendre l'ambassade en
août 1944 lorsqu'elle fut prise d'assaut par des communistes
armés, et il s'en est fallu de peu pour qu'il ne soit pas assassiné.
Il s'est réfugié par la suite à Barcelone où son fils lui rendait
des visites en cachette23.
On ne peut clore ce chapitre
introductif sans mentionner un autre Roumain célèbre mais peu
connu, Henry Négresco, le propriétaire (1913) de l'hôtel qui porte
son nom à Nice24.
Citons les mots écrits par Nicolae
Iorga qui arrive à Paris en 1891 et va retrouver la France après la
Première Guerre Mondiale :
"Il y avait beaucoup de Roumains
à Paris, - pas seulement des étudiants, certains heureux d'y rester
pour toujours comme le grand savant de laboratoire, M. Livaditi
de Iasi, marié à l'une des filles du docteur Istrati le
nationaliste enflammé venu mourir à Paris, alors que leur
descendance disparaissait complètement dans le milieu français. Des
retraités, comme un certain Cosmovici des Voies Ferrées, des
aventuriers avec un passé détestable au pays natal, noceurs de
toutes les nuances, des gens commodes qui ne concevaient pas de
participer à la dure labeur de reconstruction de l'après-guerre,
tous ces gens s'étaient entassés dans tous les coins de l'immense
métropole, vivant chacun pour soi, au milieu des siens, sans
chercher des contacts, considérés compromettants, avec d'autres
Roumains. On voyait seulement quelques vieilles dames à la chapelle
roumaine auprès de laquelle se conservait une tradition musicale qui
poussait beaucoup de monde étranger à assister aux concerts donnés
par le choeur ; une bibliothèque abandonnée depuis longtemps a
dû être passée au tamis afin de mettre à l'abri ce qu'elle
contenait de plus rare et de plus précieux"25.
*
Avec la Première Guerre Mondiale, la
présence des Roumains en France et notamment à Paris prend des
proportions autrement plus importantes que l'immigration antérieure
et, comme conséquence, la multiplication des sources et des ouvrages
en tous genres - dictionnaires, anthologies, monographies, articles
de revue, illustrations, monuments, etc - rend la synthèse beaucoup
plus difficile26.
Nicolae Iorga, qui redécouvre Paris
en janvier 1921 comme invité du Collège de France, notait dans
son volume de mémoires Academy of Arts and Sciences). Ouvrage paru :
"L'assaut vers les plaisirs sans
fin imaginées à Paris, qui devait être offert gratuitement aux
alliés roumains, avait été si grand, que, dès la fin des
hostilités, à la légation de France < à Bucarest >, où
le spirituel < Robert > de Flers était chargé
d'affaires, (...) on n'arrêtait pas de viser les passeports. J'ai
dit à de Flers que, s'il continuait de les aider, "il n'y
restera aucun Roumain en Roumanie". "Il y aura",
m'a-t-il répondu avec un noble geste, "des Français qui
reviendront"27.
En effet, on comptait 13 245 Roumains en 1926, principalement à
Paris (10 000) et 1200 en banlieue, et 15 387 en 193128,
alors que le nombre des naturalisations passait de 2 539 en
1926, à 4 982 dix ans plus tard.29.
Pour la période de
l'entre-deux-guerres, le gros des exilés roumains se recrutent de
préférence dans les provinces réunies en 1918 : Transylvanie,
Banat et Bucovine (anciennement dans l'Empire austro-hongrois) et
Bessarabie (dans l'Empire russe entre 1812 et 1918). Après
quelques hésitations, la Roumanie avait signé le Traité des
minorités (1919) qui accordait la citoyenneté roumaine à tous les
habitants des provinces nouvellement réunies, mettant ainsi fin à
la politique de naturalisation des étrangers en vigueur depuis 1866,
politique hostile aux Juifs. L'insécurité régnant à la frontière
avec la Russie bolchevique (qui avait déclaré la guerre à la
Roumanie en 1918) et les troubles de la Hongrie voisine suite à
l'éphémère république communiste de Bela Kun, l'apparition et le
développement des mouvements d'extrême droite nationalistes,
conjuguée avec la mise hors la loi du parti communiste de Roumanie,
section roumaine du Komintern (1921 et 1924), ont joué un rôle
décisif dans la décision de bon nombre de Juifs, de Hongrois et de
Slaves (Russes et Ukrainiens) de Transylvanie et de Moldavie et
Bessarabie, munis de passeports roumains, de s'expatrier et de
chercher fortune en France et ailleurs. Nous ne possédons pas de
chiffres précis sur ce mouvement de populations - en général des
artisans, des petits commerçants et des ouvriers -, mais quelques
noms et organisations émergent du lot comme le Comité national des
Roumains de Transylvanie et de la Bukovine (qui édite le journal La
Transylvanie, 15 mai 1918-15 février 1919, 19 numéros
parus) présidé par Traian Vuia, la Colonie roumaine de Paris, qui
publie L'Echo franco-roumain en 1920, 12 numéros parus, et Le
courrier franco-roumain, politique, économique et littéraire,
6 novembre 1920-1922, 51 numéros parus, et enfin La Roumanie
Nouvelle. Organe de la Fédération des Roumains de France et de
l'Association les Amis de la Roumanie (1927)30.
Les premiers à s'organiser sont les
Bessarabiens, presque tous Juifs et communistes, qui forment en 1925
une Association des émigrés bessarabiens en France sous l'impulsion
et avec l'aide de Cristian Rakovski, l'ambassadeur d'URSS à Paris,
lui-même d'origine bulgare car né en Dobrogea (Dobroudja) du Sud,
territoire annexé par la Roumanie en 1913 et à nouveau en 1918.
Ensemble avec d'autres organisations de Russes blancs, les
Bessarabiens vont oeuvrer pour le rattachement de la province à
l'URSS, bon nombre d'entre eux vont adhérer au PCF, feront de
l'espionnage en faveur de la patrie du socialisme et certains
combattront dans la Résistance31.
Ces émigrés bessarabiens ont été particulièrement actifs en 1932
lorsque les autorités roumaines et la Ligue pour la défense des
droits de l'homme en Roumanie ont protesté publiquement contre les
massacres du Nistru (Dniester) que des milliers de paysans (en
majorité Roumains de la RSSM) essayaient de traverser pour échapper
à la terreur et à la famine en Ukraine. A cette occasion, des
étudiants roumains ont publié des articles dans la presse
française, ont organisé des réunions dans les quartiers de Paris
et de Genève, et ont alerté le grand journaliste Géo London qui a
mené une enquête sur le terrain en Bessarabie où il a constaté la
réalité des véritables massacres perpétrés par les garde
frontières soviétiques à l'encontre des populations pacifiques32.
Naturellement, L'Humanité et l'ambassade soviétique à Paris
ont contesté les faits, mais lors d'un meeting au Musée Social du
13 avril 1932, Géo London a fait un ample compte rendu des
résultats de son enquête en dépit des manifestations bruyantes des
Bessarabiens venus en "groupe compact" qui sont finalement
réduits au silence par l'intervention du "citoyen Smokine,
ayant fui lui-même la malheureuse république soviétique moldave"33.
Un Mémorandum à ce sujet, signé par 634 réfugiés, a été
adressé à la Société des Nations et présenté par N. Smochina
devant l'illustre assemblée, ce qui a eu comme conséquence
l'intervention de l'Office Nansen pour les réfugiés qui a fourni
des aides aux fuyards34.
D'autres immigrés bessarabiens ont
été des fourreurs comme le père de Robert Badinter, sénateur et
ancien Garde des sceaux, le grand-père de Madame Cécilia Attias née
Cziganer, la première épouse de l'ancien président Nicolas
Sarkozy, d'autres ont été tailleurs, cordonniers, ouvriers ou
commerçants. Il faut également citer les noms de Charles Michelson
(né Haïm Michelsohn, 1906- Paris 1970), proche de Georges Mandel et
l'un des fondateurs et dirigeants de Télé Monte-Carlo et d'Europe
135,
et de Benno-Claude Vallières (né Bention Grebelsky), (Soroca 1910-
Paris 1989), spécialiste en aéronautique, ami et l'un des plus
proches collaborateurs de Marcel Dassault qui lui confia la
présidence de plusieurs de ses sociétés dont la Société des
Avions Marcel Dassault- Bréguet Aviation36.
Quatre autres personnages ont défrayé
la chronique dans l'entre-deux-guerres ou après et, même s'ils ne
sont pas tous Bessarabiens, on peut dire que trois d'entre eux ont
milité pour l'URSS et le Komintern. Le premier en date est Joseph
Joinovici (Kichinev, 1905-Paris 1965), chiffonnier de son état et
agent double ou même triple pendant la guerre et l'Occupation
lorsqu'il travailla pour l'URSS, les Allemands et pour la Résistance
notamment communiste en tant que collaborateur du grand argentier du
PCF Jean Jérôme. Après la guerre il s'enrichit par la vente des
surplus américains et d'autres affaires mystérieuses ce qui lui
valut un procès et une condamnation en 1949. Lorsqu'on apprit sa
mort en 1965, "beaucoup de personnages influents de la
IVe République (poussèrent) un soupir de soulagement.
Joinovici (emportait) dans la tombe ses terribles secrets, la liste
de ceux qu'il avait compromis, la vérité sur des meurtres non
résolus"37.
Le deuxième et peut-être le plus
intéressant, est Louis Dolivet (1908-1989). Né Ludovic Brecher à
Sant, dans le nord de la Transylvanie, il s'installe à Paris au
début des années '30 après des études sommaires ("élève
visiteur") à Genève à l'Institut des relations
internationales. Ici il devient un ardent militant pour la paix dans
l'ombre du fameux Willi Münzenberg, l'agent du Komintern chargé de
la propagande à l'Ouest, et contribue à la création du
Rassemblement universel pour la paix (RUP), une organisation
pacifiste noyautée par le PCF dans lequel il est connu, sous le nom
de Udeanu, comme un des principaux agents d'influence du Kremlin.
Après 1940, il émigre aux Etats-Unis où il contracte un mariage
prestigieux avec Beatrice Whitney-Straight (dont le frère Michael
espionnait également pour l'URSS), rejeton d'une riche famille qui
possédait des journaux, continue son activité en faveur de la paix
(avec le journal Free World) et revient en France au moment où
il allait être arrêté et enquêté sur ses relations avec l'URSS
(ultérieurement, les Etats-Unis lui refuseront l'entrée même pour
assister à l'enterrement du fils qu'il avait eu avec Beatrice
Straight). En France il se lance dans la production cinématographique
et produit des films avec notamment Orson Welles (M. Arkadin,
1955) et Jacques Tati (Mon Oncle, 1958)38.
Le troisième personnage, également
sulfureux, est le banquier et homme d'affaires ("financier
franco-roumano-soviétique", selon Henry Coston) Albert Igoin,
né Jaller Haïm ou Jaller Haïm David (Tg. Frumos 1915-Paris 1982,
arrivé en France en 1933 et naturalisé en 1938). Président de
France Navigation, "entreprise créée en 1937 au siège
de la Banque Commerciale pour l'Europe du Nord, organisme
bancaire des Soviets en France", il rachète la Société
Parisienne de Banque avec l'appui de Pierre Lebon, député
gaulliste des Deux-Sèvres. Après la Libération il entre dans le
cabinet de Charles Tillon, ministre communiste de l'Air. En 1955 il
est milliardaire et se fait arrêter par la D.S.T. pour fausse
identité et enrichissement douteux : c'est le début de
"l'affaire Igoin" qui durera deux ans, mais la justice lui
donne raison et il est libéré. Pourtant de nombreux points
d'interrogation subsistent comme l'écrit le même Henry Coston :
"La presse ne s'est pas montrée
très loquace, en général, sur l'aspect politico-financier de cette
affaire de fausse identité. Le respect que le journaliste
d'aujourd'hui porte aux milliardaires serait un sujet d'étonnement
pour ses devanciers. Comment, voilà un étranger fraîchement
naturalisé, trafiquant sous de faux noms, qui avoue aux policiers de
la D.S.T. être l'heureux possesseur de huit petits milliards
"gagnés" en huit petites années, et il ne se trouve
personne dans la grande presse pour s'indigner,
pour réclamer une enquête sur l'origine de cette prompte et
surprenante fortune ?"39
Albert Igoin avait attiré l'attention
de la D.S.T. depuis qu'en 1954 il avait commandité Robert Hersant,
le patron d'un important groupe de presse qui venait d'acheter Le
Figaro grâce à un important prêt de l'homme d'affaires roumain
(30 millions de francs)40.
Après cette date, il garde profil bas tout en continuant à faire
des fructueuses affaires qui le mettent en contact, dans les années
1970, avec un jeune administrateur de fonds américain du nom de
Bernard (Bernie) Madoff avec lequel il se lia d'amitié et auquel il
confia des fonds importants. Après la mort d'Igoin, sa veuve, sa
fille et sa petite-fille ouvrirent elles aussi des comptes chez
Madoff à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars41.
Notons enfin qu'Albert Igoin était un passionné de Spinoza et édita
les Cahiers Spinoza dans lesquels il publia plusieurs
articles.
Le quatrième membre de ce carré d'as
est l'as de coeur et porte le nom de Léon Cotnareanu (né Leibovici
à Podul Iloaei, en Moldavie, 1891 + 1970 à Genève), ancien
coiffeur à Jassy, selon La Libre Parole (1935)42,
consul de Roumanie à Cherbourg et heureux époux de Madame Le Baron,
l'ex-femme du parfumeur François Coty dont elle avait divorcé en
1929. A cette occasion, elle avait empoché plus de 300 millions
de francs et la propriété du Figaro qu'elle offrit à son
deuxième mari43.
On constate donc que l'émigration
roumaine en France dans l'entre-deux-guerres est surtout le fait de
Juifs qui fuient la montée du nationalisme et de l'extrême droite
et les persécutions dont ils sont victimes à commencer par les
étudiants et les jeunes écrivains et artistes. Quelques noms
célèbres, juifs et non-juifs, tous poètes et prosateurs, mais
aussi philosophes, doivent être rappelés ici dans l'ordre
chronologique de leur arrivée à Paris : le philosophe Stéphane
Lupasco (né Stefan Lupascu Bucarest 1900-Paris, 1988) à Paris
depuis 1916, tout comme le physicien et philosophe Pius Servien (né
Serban Coculescu, Bucarest 1902 - Paris 1959) ; Tristan Tzara
(né Samuel Rosenstock à Moinesti, 1896-1963, Paris), fondateur du
mouvement Dada à Zurich en 1916, installé à Paris en 1920 ;
Benjamin Fondane (né Benjamin Wechsler à Iasi, 1898-1944 à
Auschwitz ), à Paris depuis 1923 ; Ilarie Voronca (né Eduard
Marcus, Braila 1903-Paris 1946), à Paris en 1926 ; Lucien
Goldmann (1913, Bucarest - Paris 1970), à Paris depuis 1934 ;
Gherasim Luca (né Salman Locker, Bucarest, 1913-Paris 1994), à
Paris depuis 1938.
Une mention à part doit être faite
pour les étudiants en médecine et les médecins roumains, en
majorité juifs, qui, profitant du "privilège roumain"
(1853 et 1897, possibilité de suivre des études de médecine, de
postuler au Doctorat d'Etat et d'exercer en France avec le
baccalauréat roumain), s'inscrivent en grand nombre dans les
Facultés de médecine après 1918 : ils représentent 11 % du
total des étudiants en médecine à Paris en 1920, et 36 % en
1930 . Cette même année, ils représentent 34 % des étudiants
de Montpellier, 53 % à Nancy et 76 % à Rouen. Une loi de
1933 supprime le "privilège roumain"44
et prévoit que seul le bac et la nationalité françaises permettent
l'accès au Doctorat d'Etat, mais décide le maintien des situations
acquises. D'où une croissance exponentielle des naturalisations
françaises dans lesquelles entrent aussi les étudiants et médecins
roumains et polonais : 100 000 entre 1921 et 1925,
et 300 000 entre 1926 et 193045.
En 1948 on estimait le nombre de médecins juifs originaires de
Roumanie à 4 00046.
Notons encore les noms de deux
pionniers de l'aviation en France, Traian Vuia et Henri Coanda
(1886-Bucarest 1972), du critique musical Antoine Goléa (né
Siegfried Goldman 1906 à Vienne dans une famille de juifs roumains -
Paris 1980), du peintre Victor Brauner (Piatra Neamt 1903-Paris
1966), le directeur de music-hall et de théâtre Mitty Goldin (né
Mitty Goldenberg 1895- Paris 1956), directeur du fameux A.B.C. du
boulevard Poissonnière, et enfin la non moins célèbre maîtresse
princière et épouse morganatique du futur roi Carol II, j'ai cité
madame Ioana Maria Valentin Lambrino (Zizi Lambrino, Bucarest
1896-Paris 1953), exilée en France en 1920 avec son fils, Carol
Mircea à la suite d'un juteux arrangement financier avec les
autorités roumaines47.
A plusieurs reprises, cette dame fera parler d'elle en liaison avec
le prince Carol exilé en France entre 1925 et 1930, puis
après la guerre lors des procès en reconnaissance de paternité et
héritage de son fils que les tribunaux français ont reconnu comme
le fils aîné et légitime du défunt roi de Roumanie.
La Deuxième Guerre Mondiale a eu
comme conséquence, entre beaucoup d'autres, l'augmentation
exponentielle de l'exil roumain, notamment des réfugiés politiques
appartenant à toutes les couleurs de l'éventail politique et
social. Les Juifs surtout ont eu à souffrir sous l'Occupation, même
si une partie d'entre eux a pu bénéficier de la protection des
autorités roumaines qui leur ont offert des passeports de ce pays
allié de l'Allemagne dans la guerre contre l'URSS. Certains ont
refusé cette chance, comme ce fut le cas des parents de Serge
Klarsfeld (dont la mère était originaire de Bessarabie) et ne
faisaient pas confiance au régime autoritaire (d'abord fasciste,
puis de dictature militaire) de Bucarest qui a déporté les Juifs de
Bessarabie et de Bukovine à l'Est du Nistru, en Transnistrie d'où
la moitié ne sont plus revenus vivants.
Pendant la guerre on enregistre la
création à Paris de deux organisations roumaines qui prennent le
relais de la Fédération des Roumains de France (1927). Il s'agit du
Comité National Roumain (CNR) formé surtout d'anciens diplomates et
d'intellectuels. Son président, Constantin Antoniade (1880-1953),
ancien diplomate auprès de la SdN et ministre à Berne, avait donné
sa démission sous le règne de Carol II et s'était installé à
Paris où il a publié d'intéressants ouvrages sur la Renaissance,
Machiavel et la diplomatie vénitienne. Il avait comme vice-président
Dimitrie N. Ciotori (1892-1965), lui aussi ancien diplomate en poste
à Londres, installé à Paris, et George Raut, attaché auprès du
B.I.T. et grand collectionnaire d'oeuvres d'art. Parmi les membres du
Comité notons l'historien Constantin Marinescu (1891-1982),
directeur de l'Ecole Roumaine en France de Fontenay aux Roses,
l'architecte Serban Cantacuzène, le poète et savant Pius Servien
(né Serban Coculescu + Paris 1952), Horia Radulescu,
spécialiste de l'histoire du théâtre français en Roumanie, Emil
Turdeanu (1911-2001), slaviste et spécialiste de la littérature
ancienne roumaine et slave,,etc. Le C.N.R. se plaçait sous l'égide
("le haut patronage et la garantie morale") de
l'association Les Amis du peuple roumain dirigée par Alphonse
Dupront, Ferdinand Lot, Emmanuel de Martonne, Mario Roques et le
docteur Constantin Levaditi.
A son tour, le Front National Roumain
faisait remonter ses origines à 1941 et était formée de
communistes et d'anciens d'Espagne dont certains étaient actifs dans
la M.O.I. Elle avait comme président l'aviateur Traian Vuia, dont il
a été question plus haut, et sort de la clandestinité lors des
combats pour la libération de Paris en août 1944. Ce sont ses
membres qui ont "libéré" le consulat roumain, menacé de
mort le fonctionnaire Filip et aussi arrêté pour quelques mois un
boursier roumain nommé Emil Cioran ! Le gouvernement français
refusera de reconnaître le F.N.R. comme organisation légale et ses
membres seront en grande partie expulsés en 1948 pour activités
illégales.
On peut parler d'un exil politique
roumain en France seulement après l'installation à Bucarest d'un
gouvernement dominé par les communistes (mars 1945). Le
ministre des Affaires Etrangères de ce gouvernement sera, jusqu'en
1947, Georges Tataresco, libéral dissident et ancien président du
Conseil (1934-1937), ensuite ministre de Roumanie à Paris. Tatarescu
décide de rappeler tous les diplomates en poste du régime Antonescu
et envoie même le luxueux paquebot Transilvania pour les récupérer,
eux et leurs familles. L'appel trouve un écho négatif et la France,
la Grande-Bretagne, la Suisse et les autres pays de l'Europe
Occidentale, plus tard les Etats Unis, voient affluer un grand nombre
de diplomates, politiciens, hommes d'affaires et intellectuels
roumains. Paris est le centre principal de cet exil politique estimé,
pour le monde entier, par les spécialistes à 300 à 400 personnes
pour la période 1949-198948.
Pour l'intervalle 1944-1948, ces chiffres peuvent être augmentées
d'au moins un quart, sinon plus. Il s'agit, évidemment, des gens
actifs sur le plan politique qui avaient choisi l'exil afin de
pouvoir continuer leur action.
La première action d'envergure des
exilés politiques roumains s'est déroulée lors de la préparation
et des travaux de la Conférence de Paix destinée à conclure les
traités avec les anciens satellites de l'Allemagne : l'Italie,
la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Finlande, traités qui ont
été signés le 10 février 1947. La délégation officielle
roumaine était dirigée par le même Tatarescu et comprenait
quelques ministres socialistes et communistes, cinq ambassadeurs,
diverses personnalités comme Hélène Vacaresco et Antoine Bibesco,
des journalistes et des économistes. Sa mission était difficile, le
pays occupé par l'Armée Rouge était exsangue, les provinces de
l'Est (Bessarabie et Bucovine du Nord) récupérées par l'URSS qui
avait imposé des clauses politiques et économiques très lourdes
par la Convention d'Armistice de septembre 1944. Finalement, les
buts du gouvernement roumain étaient l'obtention du statut de
cobelligérant dans la guerre contre l'Allemagne, la réduction des
exigences financières soviétiques et la reconnaissance de
l'appartenance de la Transylvanie du Nord (occupée par la Hongrie en
1940) à la Roumanie. Finalement, seule la dernière revendication a
été satisfaite par les vainqueurs49.
Face et en parallèle à la délégation
officielle, un groupe d'exilés formé surtout de diplomates et
hommes politiques a joué un rôle important dans la création d'une
atmosphère favorable à la Roumanie et a présenté sa véritable
situation économique et politique aux Grandes Puissances et à
l'opinion publique. Ce groupe était dirigé par Grigore Gafencu
(1892-1957), ancien ministre des Affaires Etrangères et ambassadeur
à Moscou en 1940-1941, exilé depuis 1943 en Suisse et auteur, entre
autres, de deux ouvrages fondamentaux, Préliminaires de la guerre
à l'Est (1944) et La Fin de l'Europe (1943). Le
29 juillet 1946, le groupe publiait un long mémoire intitulé
La Roumanie face à la Conférence de Paix qui a été
distribué à toutes les délégations et à un grand nombre d'hommes
politiques et diplomates occidentaux50.
Cette activité nécessitait des fonds
importants que l'exil roumain avait réussi à se procurer par un
véritable tour de passe-passe : en 1943-4, le gouvernement de
Bucarest avait décidé d'ouvrir un compte de 20 millions de
francs suisses dans une banque helvétique dans le but d'assurer la
survie de quelque centaines d'intellectuels obligés de quitter le
pays avant l'arrivée de l'Armée Rouge. Cette mesure avait été
prise après la découverte des charniers de Katyn où la fine fleur
de l'intellectualité polonaise avait été exécutée par le NKVD
sur ordre de Staline et de ses complices. Après l'installation du
premier gouvernement procommuniste en mars 1945, Constantin
Visoianu (1897-Washington 1994), l'ancien ministre des Affaires
Etrangères, avait ordonné par un ordre antidaté le transfert de
6 millions sur le compte personnel d'Alexandre Cretzianu
(1895-1979), le ministre roumain à Ankara. Après avoir refusé de
rentrer au pays, les deux diplomates ont utilisé le fonds pour
alimenter l'exil roumain en dépit des essais du gouvernement de
Bucarest puis d'autres groupes d'exilés de récupérer l'argent. En
fin de compte, Cretzianu, qui s'est installé aux Etats Unis (tout
comme Visoianu, est devenu le seul trésorier de cette manne qui a
servi la cause démocratique jusqu'en 1973-4 lorsque des mauvais
placements et la chute du cours du dollar ont mis fin à ses
activités51.
La concentration à Paris de tous ces
politiciens posait le problème de leur organisation dans un
organisme représentatif, une question ardue qui soulevait des
disputes de préséance et de légitimité concurrentes. On voit ici
la profonde vérité qu'exprimait cette pensée de Churchill qui
s'applique parfaitement aux Roumains aussi :
"Les Grecs sont, ensemble avec
les Juifs, la race la plus passionnée de politique au monde. Tout
désespérée que soit leur situation, ou grave le péril qui menace
leur pays, ils restent divisés en de nombreux partis avec une
multitude de chefs qui se combattent avec acharnement. On a dit à
juste titre que là où se trouvent trois Juifs, on trouve deux
premier ministres et un chef de l'opposition ; le même est vrai
aussi dans le cas de l'autre race ancienne et célèbre, dont la
lutte pour la vie, tumultueuse et sans fin, remonte jusqu'aux
origines de la pensée humaine".
En effet, l'arrivée à Paris en
juin 1946 du général Nicolae Radescu (1874-1953 New York), le
dernier premier ministre de gouvernement démocratique obligé de
démissionner en 1945, et de Grigore Niculescu-Buzesti (1908-1949 à
New York), un jeune et ambitieux diplomate, suivis par d'autres
membres des partis "historiques" en butte aux persécutions
des communistes, ont eu comme conséquence des regroupements et des
querelles de clocher qui n'étaient pas sans rappeler celles de
Roumanie. Trois d'entre eux - Gafencu, Cretzianu et Niculescu-Buzesti
- avaient des pleins pouvoirs émis par les chefs des
National-Paysans et des National-Libéraux, respectivement Iuliu
Maniu et Constantin (Dinu) I.C. Bratianu restés à Bucarest. En foi
de quoi, ils avaient chacun l'ambition d'être le chef des exilés,
mais ils devaient compter également avec la prétention du général
Radescu qui considérait que cet honneur lui revenait de droit en
tant que dernier premier ministre démocrate. En mai 1947,
Radescu lançait un appel imprimé adressé au pays dans lequel il
annonçait la libération imminente de la Roumanie par les
Anglo-Américains, appel qui a déplu aux "plénipotentiaires"
qui soupçonnaient le vieux général de s'ériger en un De Gaulle
roumain. C'est pourquoi ils ont créé à Genève un "groupe"
ou "commission" officieuse des partis politiques destinée
à faire contrepoids aux velléités du général qui ne disposait,
lui, d'aucun parti politique. Selon les souvenirs d'un contemporain,
ils "ont décidé que, au cas où les liens avec le pays
seraient interrompues, ils allaient se constituer en un conseil ou
comité national auquel les Alliés pourraient (en cas de conflit
avec la Russie) reconnaître le caractère d'un gouvernement. Les
Américains se seraient engagés, dans cette éventualité, de faire
sortir le Roi du pays. Il faudrait leur demander de faciliter
l'évasion d'autres hommes politiques importants.52"
D'autres projets concernaient la constitution d'une Internationale
des agrariens opposée au Komintern (supprimé depuis 1943), la
présentation d'un mémoire à la Commission économique européenne
qui tenait sa session à Genève, la création de deux centres de
documentation à Washington et à Genève, la publication de
périodiques de propagande, des interventions auprès des
Anglo-Américains, etc. Le procès verbal, signé aussi par le
général Radescu, prévoyait l'égalité en droits de tous les
membres, mais la lutte pour la direction et la domination dans le
comité était déjà engagée. A l'automne 1947, le général
Radescu partait pour l'Amérique en annonçant qu'il allait créer
là-bas le Comité national.
En janvier 1948, le roi Michel
arrivait en Suisse après avoir été obligé d'abdiquer le
30 décembre précédent. Entre temps, le "groupe"
constitué à Genève avait l'ambition de se constituer en Comité
politique, mais était à son tour divisé entre deux fractions.
Finalement, en août 1948, il se transforme en Conseil des
partis politiques roumains en exil (trois national paysans, deux
national libéraux et un socialiste indépendant) et publie le plus
important journal de l'exil roumain, La Nation Roumaine. Bulletin
d'informations du Conseil des partis politiques roumains, qui
paraît jusqu'en mai 1973 (260 numéros) et était fincancé par
Alexandre Cretzianu. Enfin, suite aux insistances du roi Michel, voit
le jour le Comité National Roumain (6 avril 1949) présidé par
le général Nicolae Radescu et formé de cinq membres des partis
politiques et de cinq personnalités indépendantes. Agréé par le
roi, le Comité a été reçu comme membre de l'organisation des
Comités de l'Europe Libre patronnée par les Etats Unis qui les
considéraient comme des gouvernements en exil. Mais, les frictions
au sujet du Fonds national s'aggravant, le général Radescu, qui
réclamait son transfert à la disposition du Comité, se retire de
la présidence et fonde sa propre organisation, l'Association des
Roumains libres (novembre 1950). Le nouveau président du Comité
National sera Constantin Visoianu qui va diriger ses destinées
jusqu'en 1975, date de sa dissolution, avec le concours d'Alexandre
Cretzianu au poste de grand trésorier et bailleur de fonds. Ces deux
organismes - le Comité National et l'Association des Roumains libres
- vont dominer l'exil roumain, avec quelques avatars, jusqu'à la
chute du régime communiste. Cependant, grâce au Fonds National,
l'action du Comité sera beaucoup plus importante et de longue durée
et ses effets seront visibles en premier lieu à Paris.
Suite à la création de l'OTAN et le
déplacement en Asie de la confrontation entre les deux alliances
politiques, le nombre de Roumains qui choisissent de rester en France
et de ne plus fuir vers l'Amérique ou le Canada, augmente dans des
proportions considérables jusqu'en 195O-52. L'Office français de
statistiques enregistre, pour la période du 1er janvier 1947 au
1er janvier 1950, un nombre de 3 000 Roumains naturalisés
français et 7 000 réfugiés politiques en novembre 1951.
En avril 1964, on comptait 14 580 Roumains naturalisés ou
réfugiés, un chiffre qui allait augmenter dans les années
suivantes et jusqu'en 1989. Et pour la période 1949-1949, l'on
estime à 85 le nombre d'organisations et à 44 le nombre de
publications périodiques roumaines, des chiffres importants qui
obligent l'historien qui veut les étudier à des choix très
sévères53.
Ces chiffres traduisent l'augmentation
du nombre d'exilés roumains en France aux débuts de la Guerre
Froide. Peu d'entre eux, et seulement les plus aisés et ceux en bons
termes avec les autorités, obtiennent un passeport pour une
émigration légale. L'immense majorité utilise les filières
d'évasion qui fonctionnent à travers la Hongrie ou la Yougoslavie
(notamment entre 1949 et 1950), certains traversant le
Danube à la nage. La filière hongroise est de loin la plus active
et la mieux organisée. Elle est l'oeuvre d'organisations comme le
American Joint Distribution Committee qui évacue les Juifs de
Roumanie ou de Pologne via Budapest et Vienne et de là vers l'Italie
et les Etats Unis, ou la France.54
D'autres faisaient appel à des passeurs qui n'étaient pas toujours
sûrs55
et dont le nombre allait se réduire suite aux arrestations et à la
fermeture des frontières avec du fil de fer barbelé, des mines et
des rondes de garde-frontières avec des chiens (août 1949)56.
Après cette date, le nombre de réfugiés tombe brutalement et ceux
qui arrivent sont en général venus des pays européens où ils
avaient été internés par les Alliés pour différentes raisons.
Neagu Djuvara (né en 1916) a
distingué trois vagues de réfugiés roumains en France présents en
1948 : les Roumains établis à l'étranger avant la guerre et
les membres des missions diplomatiques qui avaient choisi l'exil
après 1945 puis après l'abdication du roi Michel (30 décembre
1947). Ce groupe était très restreint, de l'ordre de quelques
centaines personnes, mais comptait dans ses rangs, en dehors des
diplomates de carrière, des personnalités importantes du monde des
lettres, des arts et des affaires. Rappelons pour mémoire le trio
Emil Cioran, Eugène Ionesco et Mircea Eliade, tous les trois venus
en Occident comme diplomates, les deux premiers en France, le
troisième à Londres puis à Lisbonne. Mircea Eliade s'installera
aux Etats-Unis en 1955 mais garda toute sa vie un appartement à
Paris où il venait passer quelques mois pendant les vacances
universitaires. S'y ajouteront des personnalités aussi diverses que
le compositeur Georges Enesco, Marthe Bibesco, l'avocat Wilhelm
Filderman (1882-Paris 1963), ancien président de la communauté
juive de Roumanie, le romancier Constantin Virgil Gheorghiu (auteur
de "La 25e heure"), le poète Paul Celan, les journalistes
et critiques littéraires Monica Lovinescu et Virgil Ierunca. Parmi
les hommes d'affaires, en majorité juifs, on doit mentionner les
cousins Gyula et Aladar Zellinger et leurs descendants, chiffonniers,
spéculateurs sur le marché noir, puis promoteurs immobiliers qui
ont ajouté le titre nobiliaire italien (ou papal) de Balkany57,
Isidore Karmitz, enrichi dans la pharmacie et les laboratoires
pharmaceutiques, qui quitte Bucarest en 1947 avec sa nombreuse
famille (45 personnes et 90 valises sans contrôle douanier)58
et d'autres de moindre envergure.
Un deuxième groupe était formé par
les anciens "légionnaires", membres de l'organisation
fasciste de La Garde de Fer réfugiés en Allemagne depuis 1941 et
enfermés dans des camps de concentration comme Buchenwald d'où ils
furent libérés par les Alliés, ce qui leur permit, pour ceux qui
avaient noué des rapports d'amitié avec des détenus français de
s'installer en France, comme ce fut le cas du chef d'orchestre Remus
Tincoca ou du prêtre Vasile Boldeanu qui fut le desservant de
l'église roumaine de Paris pendant plusieurs décennies et dont il
sera question plus loin.
Le troisième groupe est formé par
les derniers arrivés avant la fermeture totale des frontières
occidentales avec la Hongrie (fin 1948) et la Yougoslavie. Ici, sur
la frontière du Banat partagé par les deux pays, le conflit de Tito
avec Staline a eu des conséquences dramatiques : en vue de la
préparation d'une guerre, les autorités de Bucarest ont déporté
plus de 50 000 paysans roumains et souabes des villages sis près
du Danube et les ont installés dans la Sibérie roumaine, la plaine
du Baragan à l'est de Bucarest. Leur place a été prise par des
unités militaires et un contrôle sévère des gens dissuadait la
plupart des amateurs d'évasion. A leur tour, les autorités
yougoslaves ont pris des mesures pour arrêter les fuyards qui
étaient envoyés travailler dans les mines quand ils n'étaient pas
rendus aux Roumains contre un wagon de sel par personne. Ceci
explique la diminution dramatique du nombre des réfugiés qui
arrivent en France après 1950, pour la plupart des gens envoyés à
des congrès ou différentes autres missions officielles et qui
profitent du séjour dans une ville occidentale pour faire défection
et demander l'asile politique.
A cette époque, la socialisation et
l'intégration d'un exilé ou d'un clandestin roumain fraîchement
débarqué à Paris commence par une visite obligatoire au CAROMAN,
Comité d'Assistance aux Roumains créé en janvier 1940. Dans
ses mémoires, Neagu Djuvara, le secrétaire de CAROMAN, se
souvient :
"Les réfugiés qui arrivaient
clandestinement et avaient l'adresse du CAROMAN, pouvaient frapper à
n'importe quelle à ma porte, jour et nuit. C'était commode.
< Djuvara habitait dans le local de l'association >. Je
devais avoir toujours sur moi de l'argent pour le métro ou un taxi
(si c'était après minuit), et leur offrir des bons pour un asile de
nuit avec lequel on avait un accord d'hébergement. Parfois je devais
les y accompagner (...)
"Lorsque les réfugiés
arrivaient enfin en France, nos moyens matériels étaient si
faibles, même dérisoires, les cas sociaux si divers et souvent
insolubles, que l'essentiel de mon activité se réduisait à courir
les autorités françaises ou les organisations de bienfaisance
françaises ou internationales pour obtenir des permis de séjour,
une aide matérielle ou une bourse d'études, ou bien un visa
d'émigration de l'autre côte de l'Océan. Oh ! Les atttentes à
la Préfecture de Police de Paris avec mes "clients"
infracteurs ! Les caprices et les insultes des fonctionnaires
exaspérés par la foule des nouveaux venus clandestinement… Après
de telles séances, je rentrais le soir épuisé, comme battu..
"Pour le reste, le plus important
était de savoir écouter l'hisoire de chacun, les demandes d'aide,
les confessions, les plaintes interminables. (...)
"La proportion des "cas
sociaux" était évidemment beaucoup plus grande dans les rangs
des réfugiés que dans le cas de la population locale, la chose
était confirmée par les assistantes sociales, des cas sociaux, des
cas psychiques, dépressions nerveuses graves, des cas de démence,
suicides. (...)
"...La masse des réfugiés était
extraordinairement mélangée. Qu'on ne s'imagine pas qu'il n'y avait
que les bourgeois et les latifundiaires qui fuyaient ! Cette
catégorie remplissait, par ailleurs, les prisons et les camps de
concentration de Roumanie"59.
La trajectoire de Neagu Djuvara est
révélatrice pour l'évolution des choses : en 1951 il
acceptera de travailler pour L'Organisation Internationale des
Réfugiés (O.I.R.) qui deviendra en 1956 OFPRA qu'il quittera
laissant sa place de responsable avec les réfugiés roumains à son
ami Alexandru (Sandu) Ghica, à son tour suivi par Lilyn Stoicescu et
enfin par Raluca Petrulian. A son tour, Djuvara va travailler pour un
organisme secret issu de la collaboration de la S.D.E.C.E. avec la
C.I.A. qui préparait et assistait les volontaires roumains destinés
à être parachutés à l'Est.
La deuxième institution importante
que tout réfugié roumain se devait de fréquenter - en dehors de
l'administration française - était l'Eglise. A Paris se trouvaient
- et se trouvent encore - deux Eglises roumaine, une orthodoxe et une
Mission gréco-catholique. La première, sise dans le Quartier Latin
au 9, rue Jean de Beauvais, fonctionnait, comme on l'a vu plus haut,
depuis 1853, la seconde dans la petite rue Ribéra du XVIe
arrondissement. Outre les offices religieux du dimanche et des jours
de fête, ces deux institutions avaient organisé des cantines pour
les réfugiés où se côtoyaient chômeurs, étudiants, ouvriers et
même des personnalités dans la gêne comme Emil Cioran, lui même
fils de pop orthodoxe. Ce lieu de sociabilité jouait également le
rôle de bureau d'embauche ou "marché aux esclaves" pour
ceux qui cherchaient un travail.
L'église orthodoxe n'était pas à
l'abri des passions politiques qui faisaient rage parmi les
Roumains : un des popes avait été contraint de s'en aller pour
avoir officié le mariage religieux de l'ex-roi Carol II avec sa
maîtresse, d'autres étaient tenus à l'écart à cause de leurs
convictions légionnaires d'extrême droite (Gardes de Fer), d'autres
chassés pour des conflits de calendrier julien ou grégorien.
Finalement, c'est un ancien commandant légionnaire qui s'est imposé,
le Père Vasile Boldeanu, célèbre pour avoir commandé l'équipe
qui devait liquider le roi Carol lors de sa fuite du pays en
septembre 1940 (attentat échoué). Comme beaucoup d'autres de
ses camarades, Boldeanu s'était réfugié en Allemagne en
janvier 1941 après l'échec d'un putsch contre le général
Antonescu, avait été interné dans les camps de Rostock puis de
Buchenwald, avait fait la connaissance de détenus français et
certains juifs, et avait trouvé l'asile en France en tant qu'ancien
déporté. Son église s'était mise dans la dépendance canonique du
Synode Russe de New York et refusait tout contact avec Bucarest. Les
autorités roumaines, mettant à profit les bonnes relations avec la
France du général de Gaulle, avaient entrepris la récupération de
l'église de Paris et de sa maison qui étaient, formellement,
propriété de l'Etat roumain depuis 1881. Mais, comme le régime
communiste avait fermé l'église en 1947, l'association pour le
culte roumaine avait obtenu, en vertu de la législation française,
l'utilisation des locaux suite à leur abandon par le propriétaire
légitime. A partir de 1971-2, le consul général de Roumanie, le
colonel de Securitate Ioan Popescu, avait reçu mission de s'emparer
de ce symbole roumain au coeur de Paris. L'évêque - car il y avait
aussi un évêque - fut facilement acheté, un prêtre co-adjuteur
fut expédié de Bucarest, mais Boldeanu refusa toutes les avances
des autorités des "sans-Dieu". En vain son père, sa fille
et son fils restés au pays et qu'il n'avait plus revu depuis 1941
purent-ils venir lui rendre visite (le père et le fils choisirent la
liberté ; sa femme, qui ne s'était plus remariée, refusa de
les rejoindre). En vain le colonel Popescu offrit au pop un salaire
de 4 000 francs par mois, rien n'y fit. On passa alors à
la vitesse supérieure : vu que les autorités françaises
saisies du dossier conseillaient la voie de la justice, Bucarest
essaya sa chance ou alors profita de l'occasion pour faire un procès
à Boldeanu. Un prêtre orthodoxe français (aujourd'hui évêque
ukrainien de Saint-Ouen) dépendant de l'Eglise Orthodoxe Roumaine
(via une Eglise des Gaules créée par un réfugié russe Maxime
Kovalevski, évêque de Saint-Denis !) publia dans Droit de
vivre, l'organe de la L.I.C.A. (future L.I.C.R.A.), un article
comparant Boldeanu à Lischka et à Barbie et se demandant comment un
tel scandale était possible. Le pop lui fit, à lui et au directeur
de la publication, Jean Pierre-Bloch, un procès en diffamation qu'il
gagna haut la main en dépit (ou peut-être à cause) des faux
témoins envoyés de Bucarest et qui répétaient devant le juge de
la XVIIe Chambre le même récit appris par coeur (1973-4). J'ai
assisté à ce procès afin de voir la prestation de maître Robert
Badinter, l'avocat de la défense, qui fut littéralement pulvérisée
par l'avocat de l'accusation.
Après cet échec, le gouvernement de
Bucarest essaya, en désespoir de cause, une dernière manoeuvre et
réussit à gagner à sa cause le premier ministre Jacques Chirac
lors de sa visite en Roumanie (juillet 1975) en lui promettant
l'achat de 12 000 peaux de vache par an en provenance de la
Corrèze, sa circonscription électorale. En foi de quoi Chirac
ordonna au préfet de Police d'envoyer à l'église roumaine un
commissaire avec l'ordre d'évacuation sous 24 heures. Boldeanu,
qui en avait vu d'autres dans son existence, ne se laissa pas
impressionner et s'adressa à son avocat, maître V.V.Stanciu,
spécialiste en criminologie et grand franc maçon, qui posa le
problème au plus haut niveau de la Loge du Grand Orient. Le grand
maître contacta le président de la République et lui expliqua les
termes de l'alternative : en somme, mieux valait avoir un
fasciste repenti qu'un "agent secret en soutane" envoyé de
Bucarest à l'église des Roumains qui votaient depuis toujours
massivement à droite. C'est ainsi que le président Valéry Giscard
d'Estaing eut un motif de plus de dissension avec Jacques Chirac.
L'épilogue de cette affaire est que
le consul Popescu fut rappelé et récompensé pour son insuccès
avec la Direction Générale des Cultes. Le prêtre Boldeanu, qui
avait réussi l'union de tous les Roumains autour de sa personne à
la condition de renoncer à toute activité politique, ce qu'il
promit solennellement, connut une longue déchéance physique et
morale lorsque les journaux annoncèrent qu'une réunion secrète des
chefs de la Garde de Fer qui s'était tenue à Madrid en 1980, avait
décidé le changement du nom du parti ("Tout pour le pays")
et avait confié sa présidence d'honneur au… R.P. Vasile
Boldeanu !
La deuxième église roumaine de Paris
intitulée Mission gréco-catholique est apparue après la
Deuxième Guerre Mondiale et compte parmi ses fidèles une majorité
de Transylvains et de gens originaires du Banat, de Maramures et de
Crisana, descendants des Roumains orthodoxes qui ont accepté l'Union
avec Rome en 1701 lorsque la Transylvanie et les régions voisines du
nord et de l'ouest des Carpathes appartenaient à l'Autriche.
Beaucoup plus discrets et moins nombreux que les orthodoxes, les
gréco-catholiques sont en majorité paysans et se mêlent moins de
politique que leurs frères qu'ils accusent, in petto, d'avoir
applaudi ou approuvé la suppression de leur Eglise par le régime
communiste en 1948 et son incorporation de force dans l'Eglise
Orthodoxe. Pourtant, leur salle de réunions a abrité dans les
années '50-'80 grand nombre de manifestations des partis politiques
et d'autres groupements qui ne trouvaient pas de place à l'église
orthodoxe. Cette église a connu un formidable regain de popularité
et d'audience après 1990 avec l'arrivée en France de milliers de
travailleurs saisonniers originaires des villages du Maramures et de
Crisana et qui sont connus par le nom d'un village, Certeze. Mais,
peu de temps après 1990, un conflit s'est produit entre la Mission
et la Maison Roumaine qui n'a plus pu utiliser la salle de réunions
pour ses manifestations.
Le réfugié roumain à la recherche
de satisfactions intellectuelles voyait se présenter un large choix
d'opportunités : il y avait, tout d'abord, la Fondation
Royale Universitaire Carol Ier (sous le patronage du roi Michel,
décembre 1950), qui possédait une bibliothèque de 5 000
volumes, offrait un grand nombre de conférences dans tous les
domaines (il y avait huit sections spécialisées) et publiait des
livres et des revues en français et en roumain. S'y ajoutaient des
bourses d'études (à 80 000 francs par tête) qui avaient
totalisé, en 1951 et 1952, la somme de 5,5 millions
de francs. La Fondation avait eu son heure de gloire en 1959
lorsqu'elle organisa la fête du Centenaire de l'Union des
principautés roumaines avec la participation d'un grand nombre de
personnalités politiques et culturelles françaises, anglaises et
américaines60.
Au début des années '70, la Fondation périclita faute de
ressources suffisantes, fut un temps subventionnée par l'inévitable
Cretzianu (qui assurait aussi le coût de la publication des revues
et des livres), puis mit la clef sous la porte en 1973. Sa place a
été prise, en 1984, par La Maison Roumaine qui hérita de la
bibliothèque et l'archive de la Fondation et obtint un local de la
Mairie de Paris. Lorsqu'elle dut à son tour déménager, elle perdit
toute sa bibliothèque et archive dans l'incendie d'un
garde-meubles61.
Pourtant, l'institution continua ses activités grâce à l'énergie
et au dévouement de quelques personnes et tint ses réunions
(conférences, réunions politiques, fêtes religieuses) dans le
local de la mission gréco-catholique.
D'autres organismes culturels roumains
qui méritent d'être mentionnés ont été Le Centre Roumain de
recherches (février 1950), fondé avec le soutien du prince
Nicolae (officiellement M. Nicolae Brana), le frère cadet déchu
de ses droits du roi Carol II, une institution qui organisait des
conférences savantes en règle générale à la Sorbonne, et un
important cénacle littéraire connu sous le nom de son fondateur, le
Cénacle Mamaliga (1954). Ce cénacle, placé sous la
présidence d'honneur de Mircea Eliade, avait comme animateur un
personnage étrange, Leonid Mamaliga, un brillant homme d'affaires
aux velléités littéraires et avait choisi comme nom de plume L.M.
Arcade, une discrète allusion à l'ange déchu qui prépare la
grande révolte des anges du roman homonyme d'Anatole France. Après
le départ de Mircea Eliade pour les Etats-Unis, le cénacle se
transporta au domicile de L. Mamaliga à Neuilly et fut actif
jusqu'en 1992-3. Réuni avec une cadence de quatre à six fois par
an, le Cénacle de Neuilly a rassemblé des écrivains, des poètes,
des artistes et des scientifiques non seulement de l'exil, mais aussi
de Roumanie, des gens de passage à Paris et qui rencontraient ici
des amis, des connaissances ou des admirateurs (mais aussi des
critiques). Mircea Eliade resta le grand protecteur du cénacle où
il a lu, lors de ses séjours réguliers à Paris, plusieurs
nouvelles et récits, tout comme Vintila Horia et Stéphane Lupasco,
pour ne citer qu'eux.
Les Roumains de Paris et de toute la
France avaient également le choix entre plusieurs publications
périodiques dont nous avons déjà cité La Nation Roumaine
qui paraissait en français et quia cessé sa parution en 1972.
Pourtant, le journal le plus lu entre 1948 et 1989 était
un mensuel qui portait le titre un peu mystérieux de B.I.R.E.,
titre qui ne veut rien dire en roumain. Heureusement que le sous
titre précisait qu'il s'agissait d'un Bulletin informatif des
Roumains de l'exil. L'éditeur et unique auteur des articles
était un vieux journaliste roumain René Theodosiadis, né en 1910
d'un père grec et d'une mère française. Emigré en 1947, d'abord
en Grèce puis en France, il avait repris le journal (fondé en
février 1948) en 1951 après la retraite de son fondateur et
l'avait transformé en arme de combat contre le communisme. B.I.R.E.
était dactylographié avec beaucoup de fautes de frappe sur une
antique machine à écrire par un vieux monsieur vivant dans un
sous-sol, puis multiplié, et se présentait sous la forme de 6 à 8
feuillets agrafées ensemble de format A 4. Le journal était très
bien informé car M. Théo, franc maçon avec le coeur à
droite, entretenait des liens serrés avec la police et les services
secrets français avec lesquels il échangeait des informations sur
et des réfugiés roumains. Le style était celui de la presse de
scandale d'autrefois, les invectives colorées et les informations
brèves et précises. On le lisait avec un plaisir un peu pervers,
car la prose de M. Théo volait bien bas mais était toujours
intéressante et même distractive. En 1978, le journal a sorti un
numéro anniversaire reproduisant en français et en résumé tout
son contenu depuis 1948, et a dédié plusieurs pages aux messages
amicaux de diverses personnalités de l'exil. Une photographie pleine
page du banquet donné en l'honneur du rédacteur montrait ce dernier
recevant une coupe en argent semblable aux celles gagnés par les
sportifs, entouré de sa femme et de plusieurs vénérables de la
loge roumaine du Grand Orient de France. C'était en quelque sorte le
chant du cygne de René Théo qui passait la main, quatre ans plus
tard, à un jeune et brillant homme d'affaires, Mihai Korne, devenu
en septembre 1982 le gérant et directeur responsable de
B.I.R.E. Quelques mois plus tard, Korne se retirait de l'affaire et
fondait son propre journal Lupta (la Lutte, mal traduit en
anglais "The Fight" au lieu de "Struggle"). Les
nouveaux rédacteurs étaient M. et Mme Radu Câmpeanu, ce
dernier un ancien membre du Parti national libéral et président
d'une grande variété d'associations roumaines de Paris. Avec le
numéro de décembre 1989, B.I.R.E. disparaissait et Radu
Câmpeanu prenait la route de Bucarest où il allait s'investir dans
la lutte politique ouverte après la chute du régime communiste.
Enfin, pour compléter le paysage, une
mention doit être faite de l'activité de la rédaction de Radio
Paris qui émettait en plusieurs langues et bénéficiait, pour sa
rédaction roumaine, des contributions de plusieurs journalistes dont
le plus apprécié était Virgil Ierunca (né Virgil Untaru
1920-2006, Paris). Après la fermeture du poste en 1975, un cadeau de
Valéry Giscard d'Estaing à Brejnev pour marquer la fin (illusoire)
de la Guerre froide, Ierunca et son épouse, Monica Lovinescu
(1923-2008, Paris) sont devenus les vedettes de Radio Free Europe de
Munich dont ils assuraient la rédaction parisienne. Malheureusement
pour les exilés, les émissions de la RFE étaient directionnées
vers la Roumanie et pour les écouter à Paris il fallait des
appareils très performants.
Tel était le paysage général de
l'exil roumain en France en 1977, l'année où tout a basculé.
Depuis le début des années '60, le nombre d'exilés en provenance
de Roumanie avait grossi dans des proportions énormes apportant en
général des hommes et des femmes jeunes et le plus souvent
apolitiques. Leur motivation principale était surtout économique et
leur soin immédiat était de ne plus penser à la Roumanie et de ne
plus rencontrer des Roumains. Les chiffres fournis par B.I.R.E. en
provenance de la préfecture de police et de l'O.F.P.R.A., sont
éloquents : 1 500 touristes roumains avaient choisi la
liberté en Occident en 1968 ; 35 Roumains demandent l'asile
politique en France entre décembre 1968 et janvier 1969 ;
on comptait 5 000 réfugiés roumains en France en
janvier 1970 ; entre janvier et juin 1971 leur nombre
s'était accru de 156 personnes ; 35 autres étaient arrivés en
janvier 1972, plus de 89 en juillet-août 1973, environ 180 en
1976, ce qui faisait un total de 4 870 exilés (moins qu'en
1970, car la majorité de ceux-ci avaient obtenu la naturalisation
après cinq années de séjour ininterrompu). Ce n'était pas la
Hongrie de 1956 ou la Tchécoslovaquie de 1968, mais les chiffres
augmentaient chaque année apportant leur contingent de médecins,
d'ingénieurs et d'architectes. Pour ces nouveaux arrivants, le
Comité National Roumain et l'Union des Roumains Libres ne
signifiaient pas grand'chose, ou plutôt des formules dépassées,
des structures peuplées de personnes et de politiciens d'un autre
âge. Même si les deux organismes ont été renouvelés à partir de
1978 (pour les premiers) et de 1984 (pour les seconds), leur impact
sur les exilés et sur l'opinion publique française était très
faible. Même la signature de l'Acte Final de la Conférence de
Helsinki en 1975 comprenant la fameuse Troisième Corbeille (sur la
libre circulation des hommes et des idées) n'avait pas influencé
les esprits qui le voyaient comme une nouvelle trahison de l'Europe
de l'Est par les Occidentaux.
Les choses ont changé avec l'arrivée
à Paris de Paul Goma en novembre 1977. Son action pour les
droits de l'homme en Roumanie avait commencé en janvier-février et
lui avait valu une immense popularité dans le pays et les foudres
des autorités. Il avait été arrêté en avril puis libéré sous
la pression de l'opinion publique internationale et avait subi durant
toute l'année toutes les formes de pression, chantage et persécution
imaginables. Nous étions quelques uns (Monica Lovinescu et Virgil
Ierunca, Mihnea Berindei (1948-2016), Maria Bratianu et Sanda
Stolojan, Alain Paruit et quelques autres) à former un Comité de
solidarité avec Goma et nous l'avons accueilli à l'aéroport, lui,
son épouse et leur fils. Une des premières questions qu'il nous a
posée a été : "mais que fait donc la Ligue pour la
défense des droits de l'homme en Roumanie ? Pourquoi ne s'est
elle manifestée durant ces onze mois de combat ? Personne
d'entre nous ne connaissait l'existence de cette organisation fondée
en 1923 à Bucarest par un avocat, Gheorghe Costa-Foru et affiliée à
la Ligue française créée, ne l'oublions pas, pour la défense de
Dreyfus. Finalement, l'un d'entre nous, Theodor Cazaban, s'est
souvenu qu'il était en fait secrétaire de la Ligue dont le
président était le professeur de droit Virgil Veniamin, ancien
président de toutes sortes d'organisations roumaines, un personnage
trouble dont le nom avait été prononcé en 1969 lors de l'affaire
Caraman du nom du chef d'un réseau d'espionnage infiltré à l'OTAN
pour le compte de l'URSS et de la Roumanie. La Ligue, réanimée en
1954, avait été dirigée jusqu'en 1965 par un ancien diplomate
roumain, Nicolae Dianu (1889-1966), connu pour sa lutte courageuse
contre le communisme62,
pour tomber ensuite entre les mains de Veniamin qui l'avait laissée
en sommeil. Sur les conseils de Goma, nous avons pratiqué
l'entrisme, avons créée une nouvelle majorité et élu un nouveau
président (Constantin Cesianu, 1913-1983, Paris), puis après son
décès, Sanda Stolojan (1919-2006, Paris) et Mihnea Berindei comme
vice-président qui ont mené le combat contre le régime de
Ceausescu jusqu'en 1989. Ainsi, la décennie '80 a été, pour l'exil
roumain en France, marquée par l'action de la LDH qui a réuni
toutes les énergies des anciens mais aussi des nouveaux réfugiés.
Face à eux s'est dressée la diaspora roumaine ancienne et récente,
un conglomérat de personnes qui nous considéraient des dangereux
gauchistes, voire trotskistes et anarchistes (comme l'écrivain
Const. Virgil Gheorghiu (démasqué comme informateur de la
Securitate), René Théo et ses amis, les compagnons de route et les
agents d'influence communistes (comme le député FN Gustav Pordea ou
le milliardaire Iosif Constantin Dragan), beaucoup de membres des
partis politiques traditionnels dont le fiasco en Roumanie après
1989 est patent, les membres de la Garde de Fer, etc.
Matei CAZACU
---/---
1
C. Rezachevici, Cronologia domnilor din
Tara Româneasca si Moldova a. 1324-1881 (La
Chronologie des princes de Valachie et de Moldavie), I,
Bucarest, 2001, p. 202-206.
2
Un ancien collègue de lycée et ami issu de cette famille m'a
raconté la fierté avec laquelle une de ses tantes montrait à qui
voulait le voir un acte de Louis XIV en faveur de Jean Cazaban,
marchand de Carcassonne, où les dernières lettres du mot
"marchand" avaient été effacés laissant voir seulement
"mar" qu'elle complétait par "marquis"! Pour la
véritable histoire de la famille, voir F.-L. Iorga, E. Dimitriu,
Les Cazaban. Une chronique de famille,
Bucarest, 2007.
3
N. Iorga, "Relations latines de la famille royale
roumaine. Quelques notes généalogiques", in Bulletin
de l'Institut pour l'étude de l'Europe sud-orientale,
IV/1-2 (Iasi, 1917), p. 12-21 ; M.S. Radulescu, "Despre
ascendenta franceza a dinastiei regale a României" (A propos
de l'ascendance française de la dynastie royale de Roumanie), in
Arhiva genealogica,
IV/3-4 (Iasi, 1997), p. 259-270.
4
F.-L. Iorga, Stramosi pe alese. Calatorie în
imaginarul genealogic al boierimii românesti (Ancêtres
au choix. Voyage dans l'imaginaire généalogique de la noblesse
roumaine), Bucarest, 2013. Pour d'autres familles roumaines avec des
ancêtres français voir M.S. Radulescu, "Familii franceze
stabilite în Tara Româneasca în secolul XIX" (Familles
françaises établies en Valachie au XIXe siècle), in Idem,
Genealogii, Bucarest,
1999, p. 292-300.
5
Signé "P.", cet article a été traduit en roumain et
reproduit par O. Boitos, Raporturile
românilor cu Ledru-Rollin si radicalii francezi în epoca
revolutiei dela 1848 (Les rapports des
Roumains avec Ledru-Rollin et les radicaux français à l'époque de
la révolution de 1848), Bucarest, 1940, p. 53-56 (Asezamântul
Cultural Ion C. Bratianu, XLVII). Lors d'une réunion du groupe des
parlementaires radicaux, Ledru-Rollin présente les jeunes Valaques
en ces termes exaltés :"ils sont les membres du
gouvernement provisoire, ils sont les anges déchus" (Idem,
ibidem, p. 58-9).
Voir aussi N. Corivan, Din activitatea
emigrantilor români în Apus (1853-1857). Scrisori si memorii,
(L'Activité des émigrés roumains en Occident (1853-1857). Lettres
et mémoires), Bucarest, 1931. (Asezamântul Cultural Ion C.
Bratianu, XVI) ; C. Durandin, Révolution
à la française ou à la russe. Polonais, Roumains et Russes au
XIXe siècle, Paris, 1989. Pour leurs
oeuvres, voir Alexandre et Getta Hélène Rally, Bibliographie
franco-roumaine, I, Les oeuvres françaises des auteurs roumains,
II, Les oeuvres françaises relatives à la Roumanie,
Paris, 1930.
6
N. Iorga, "Colonia româneasca din Paris dupa condicile
bisericii ei" (La colonie roumaine de Paris d'après les
registres de son église), in Revista
Istorica, XI (Bucarest, 1925), p. 7-9.
7
Al. Davier, "Români la Paris : marile familii
(1870-1918)" (Des Roumains à Paris : les grandes familles
(1870-1918), in Magazin istoric,
XXXIII, n° 7 (Bucarest, 1999), p. 71-76.
8
Voir M. S. Radulescu, "Posteritatea lui Mihail Voda
Sturdza (La Postérité du prince Mihail Sturdza)" in Idem,
Genealogii, Bucarest,
1999, p. 228-234 : il était considéré "le plus
riche propriétaire des Principautés Danubiennes de son temps"
et possédait, outre le château de Dieppe, un hôtel particulier à
Paris au 73, rue de Varenne.
9
A. Sacerdoteanu, "Castelul de la Mée lânga Melun.
Inscriptiile de pe mormintele Ghiculestilor" (Le château de
Mée près de Melun. Les inscriptions des tombeaux des Ghica), in
Revista Istorica,
XVIII (Bucarest, 1932), p. 276 : huit personnes.
10
M. S. Radulescu, "Domnitorul Gheorghe Bibescu si cultura
franceza (Le prince Georges Bibesco et la culture française)",
in Idem, Memorie si stramosi
(Mémoire et ancêtres), Bucarest, 2002, p. 97-110 ; Mihai
Dim. Sturdza, Familiile boieresti din Moldova
si Tara Româneasca (Les familles
nobiliaires de Moldavie et de Valachie), I, Bucarest, 2004,
p. 441-535.
11
Voir Th. Cornel, Figuri contimporane din
România. Figures contemporaines de Roumanie,
Bucarest, 1909, p. 198 (texte français et roumain).
12
Mihai D. Sturdza, op. cit.,
I, p. 431-442.
13
C'est une véritable impiété que sa collection, aujourd'hui au
Musée Marmottan, porte le nom de son gendre Jules Donop de Mouchy,
alors qu'elle y a été offerte par la fille de Bellio, veuve Donop
de Mouchy, cf. R. Niculescu, "Georges de Bellio, l'ami des
impressionnistes", in Paragone. Rivista
mensile di arte figurativa e letteraria, XXI
(1970), n° 247 (septembre), p. 26-66 ; n° 249
(novembre), p. 80-85 ; A l'apogée
de l'impressionnisme. La collection Georges de Bellio,
Paris, Musée Marmottan Monet, Lausanne, La Bibliothèque des Arts,
2007.
14
Robert Scheffer, Orient Royal,
Paris, 1918 ; Hommage à Hélène
Vacaresco, Paris, 1937 ;
Stefania-Viorica Rujan, Trois cas
d'intégration dans l'espace culturel français : Anna de
Noailles, Marthe Bibesco, Hélène Vacaresco,
Iasi, 2003.
15
Dictionarul literaturii române de la origini
pâna la 1900 (Dictionnaire de la
littérature roumaine des origines à 1900), Bucarest, 1979, p. 887.
Il est notamment l'auteur de Diplomatie et
nationalité (Paris, 1 856),
collaborateur au Nain jaune,
Le Courrier du Dimanche,
Le Parlement, et
fonde La Liberté (à
Tours) et Les tablettes d'un spectateur
à Montmorency.
16
P. Ory, dir., Dictionnaire des étrangers
qui ont fait la France, Paris, 2013, p. 274.
17
Idem, ibid.,
p. 612-613.
18
Lazare Sainéan, Histoire de mes ouvrages,
Paris, 1930 ; C. Saineanu, Celui à
qui on n'a pas rendu justice. Lazare Sainéan, le grand philologue
(1859-1934), Craiova, 1946.
19
Sa fille, l'actrice Elisabeth Nizan (1896-1969) est entrée en 1915
à la Comédie Française où elle a joué jusqu'en 1936, puis de
nouveau à partir de 1938.
20
P. Ory, op. cit.,
p. 511-512, 517-518, 760.
21
M. S. Radulescu, "Genealogia lui Eugen Ionescu", in
Idem, Memorie si stramosi (Mémoire et
ancêtres), Bucarest, 2002, p. 32-42.
22
Gamber était originaire de Orsova, dans le Banat. Découvert par
Nicolae Iorga, il publia tous ses oeuvres français et finit par
faire faillite. On retrouve Jean Vitziano parmi les membres
fondateurs du Comité d'Etude des Questions d'Extrême-Orient,
organisme issu du Club des Montagnards, cf. H. Coston, Partis,
journaux et hommes politiques d'hier et d'aujourd'hui,
Paris, 1985, p. 353.
23
Neagu Djuvara, Amintiri din pribegie
(1948-1990) (Souvenirs d'exil), Bucarest,
2002, p. 61.
24
Al. Davier, "Henry Négresco, un rege al hotelurilor de lux din
Franta" (Henry Négresco, un roi des hôtels de luxe de
France), in Magazin istoric,
XXXIV (Bucarest, 2000), n° 10, p. 51-56 ; P. Ory,
op. cit., p. 618.
25
N. Iorga, O viata de om asa cum a fost,
(Une vie d'homme telle qu'elle a été), III, Bucarest, 1934, p. 54.
26
Aux ouvrages généraux cités plus haut (notamment la Bibliographie
franco-roumaine des époux Rally) il
convient d'ajouter les titres suivants par ordre chronologique de
parution : I. Jianu, Les artistes
roumains en Occident, Los Angeles, 1986 (The
American Romanian aussi en anglais ; V.C.
Dumitrescu, O istorie a exilului românesc
(1944-1989) (Une histoire de l'exil roumain
(1944-1989), Bucarest, 1997 ; A.S. Marinescu, O
contributie la istoria exilului românesc
(Une contribution à l'histoire de l'exil roumain), vol. I-X,
Bucarest, 1999-2010 ; M. Pelin, Opisul
emigratiei politice. Destine în 1 222 de fise alcatuite pe
baza dosarelor din arhivele Securitatii (Le
registre de l'émigration politique. Des destins dans 1 222
fiches compilées à partir des dossiers des archives de la
Securitate), Bucarest, 2002 ; F. Manolescu, Enciclopedia
exilului literar românesc 1945-1989. Scriitori, reviste,
institutii, organizatii (Encyclopédie de
l'exil littéraire roumain 1945-1989. Ecrivains, revues,
institutions, organisations), Bucarest, 2003 ; J.-Y. Conrad,
Roumanie, capitale… Paris,
Paris, 2003 ; V.D. Dobrinescu, I. Patroiu, Documente
franceze privind începutul organizarii exilului românesc
(Documents français concernant le début de l'organisation de
l'exil roumain), Bucarest, 2003 ; I. Calafeteanu, Exilul
românesc. Erodarea sperantei. Documente (1951-1975)
(L'exil roumain. L'érosion de l'espoir), Bucarest, 2003 ;
D. Dobre, V. Nanu, M. Toader, Comandanti
fara armata. Exilul militar românesc (1939-1972)
(Commandants sans armée. L'exil militaire roumain (1939-1972),
Bucarest, 2004 ; D. Dobre, D. Talos, Români
în exil, emigratie si diaspora. Documente din fosta Arhiva a CC al
PCR (Roumains en exil, dans l'émigration et
diaspora. Documents de l'ancienne Archive du CC du PCR), Bucarest,
2006 ; D. Dobre, I. Huiu, V. Nanu, Personalitati
ale exilului românesc în arhivele Securitatii
(Personnalités de l'exil roumain dans les archives de la
Securitate), Bucarest, 2007 ; D. Dobre et alii, Sursele
Securitatii informeaza (Les sources de la
Securitate informent), Bucarest, 2008 ; D. Dobre, O
istorie în date a exilului si emigratiei românesti (1949-1989)
(Une histoire chronologique de l'exil et de l'émigration roumaines
(1949-1989), Bucarest, 2013 ; P. Ory, dir., Dictionnaire
des étrangers qui ont fait la France,
Paris, 2013 ; D. Dobre, V. Nanu, Au
ales libertatea (Ils ont choisi la liberté),
Târgoviste, 2015 (Institutul pentru investigarea crimelor
comunismului si memoria exilului românesc).
27
N. Iorga, O viata de om,
III, p. 54-55.
28
"En 1931, les 15 387 Roumains sont moins concentrés à
l'intérieur de la capitale et se répartissent en banlieue ou dans
les régions industrielles du Nord, de la Lorraine, de l'Alsace ou
du Sud-Ouest" (J._Ph. Namont, in P. Ory, op.
cit., p. 729.
29
J.-Ph. Namont in P. Ory, éd., Dictionnaire
des étrangers qui ont fait la France,
p. 729 : "L'entre-deux-guerres est aussi la période
où les Roumains prennent leur place dans l'immigration économique,
comme ouvriers dans l'industrie et l'agriculture".
30
Al. et H.-G. Rally, Bibliografie
franco-roumaine, I, n° 4228, 4229,
4 243,4408.
31
Voir Le problème bessarabien. Mémorandum
adopté le 22 juin 1927 par la Conférence des associations
d'émigrés bessarabiens de France, de Belgique, d'Allemagne,
d'Autriche et de Tchécoslovaquie, Paris,
1927. A partir de 1928 apparaissent à Paris La
Voix de la Bessarabie (n° 1,
mai 1928), puis le Bulletin
d'information de l'association des émigrés bessarabiens en France
(n° 1, 1er décembre 1929) ; D. Bruhman, Exils
bessarabiens. Entre Kichineff et paris, itinéraires d'une
association d'émigrés bessarabiens en France (1925-1939),
Paris, 2012. Pour leur rôle dans la résistance, voir B. Holban (né
Bruhman), Testament. Après quarante-cinq ans
de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle,
Paris, 1989.
32
Cf. L'Ordre, du
17 mars 1932, article reproduit par N. Smochina, "art.
cité" plus loin, p. 257-260.
33
"Les nuits rouges du Dniestr", in Lu
du 22 avril 1932 ; N. P. Smochina, "Din amarul
românilor transnistrieni. Masacrele de la Nistru" (Les
souffrances des Roumains de Transnistrie. Les massacres du Dniestr),
article écrit en 1933 et publié en roumain et en français dans
Moldova Noua, VI
(Bucarest, 1941), p. 239-295 et 35 illustrations.
34
Paru dans le quotidien parisien L'Ordre
du 23 mars 1932 et par N. Smochina, "art. cit.",
p. 269-272 et photos LXVII-LXVIII.
35
H. Coston, Le veau d'or est toujours
debout, Paris, 1987, p. 325.
36
H. Coston, Le veau d'or,
p. 380.
37
H. Sergg, Joinovici. L'empire souterrain
du chiffonnier miliardaire, Paris, 1986 ;
T. Wolton, Le KGB en France,
Paris, 1986 ; H. Coston, Le Veau
d'or, p. 295.
38
Thierry Wolton, Le KGB en France,
Paris, 1986, p. 210-211 ; Idem, Le
grand recrutement, Paris, 1993 ;
S. Jansen, "Louis Dolivet kominternien" in
Communisme, 40-41,
Paris, 1995, p. 117-129. On le soupçonne d'avoir eu accès aux
comptes suisses de Münzenberg, assassiné par le NKVD en 1940 dans
le sud de la France, d'où il tenait les doublons d'or espagnols
qu'il distribuait aux amis, comme ce fut le cas de Jacques Tati,
voir l'interview de Jean-Luc Godard avec Alain Bergale (Godard
par Godard, 1997) à propos de son film Film
Socialisme. Il s'agissait, à n'en pas
douter, de l'or de la Banque d'Espagne expédié en URSS sur un
bateau de la compagnie France Navigation, propriété de l'URSS et
du PCF, et dont un tiers avait disparu avant son arrivée à Odessa.
39
H. Coston, Les financiers qui mènent le
monde, Paris, 1955, p. 122-123, note ;
T. Wolton, Le KGB en France,
p. 41-45.
40
H. Coston, La Fortune anonyme et
vagabonde, Paris, 1984, p. 170.
41
Diana B. Henriques, The Wizard of Lies.
Bernie Madoff and the Death of Trust, New
York, 2011, p. 67, 74-75 ; R. Gubert,
E. Saint-Martin, Et surtout n'en parlez
à personne, Paris, 2009.
42
H. Coston, Les financiers qui mènent le
monde, p. 250.
43
Jean Galtier-Boissière et alii, Les "gros", Paris, 1958,
p. 430-450. (Le Crapouillot) ; voir aussi Stelian Neagoe,
éd., Constantin Argetoianu, Insemnari
zilnice (Notes journalières), I, 1935-1936,
Bucarest, 1998, p. 56-58 où l'on précise que Léon
Cotnareanu, en visite en Roumanie en 1935, avait offert
500 000 francs pour le foyer des étudiants roumains à la
Cité Universitaire, un projet qui n'a pas abouti. Il avait, par
ailleurs, un frère directeur à la Banque Transatlantique. Madame
Cotnareanu a vendu en 1950 la majorité de ses 60 000 actions
du Figaro à Jean
Prouvost, cf. H. Coston, Les financiers
qui mènent le monde, p. 250.
44
Obtenu par le docteur Carol Davila, d'origine française
(on le disait fils de Franz Liszt et de la comtesse d'Agoult, femme
écrivain sous le pseudonyme Daniel Stern.
45
J. Boudard, De l'envahissement du corps
médical français par certains éléments "nés" en
Pologne et Roumanie, Thèse, Paris, 1939 ;
H. Nahum, "Défense corporatiste, xénophobie et
antisémitisme dans le milieu médical. Le "privilège
roumain", 1930-1940", in Histoire
des sciences médicales, 42 (2008), n° 1 ;
Idem, La Médecine française et les Juifs
1930-1945, Paris, 2006.
46
Information de Grigore Pop-Câmpeanu (+2008), ancien fonctionnaire
de l'EHESS qui avait
étudié la médecine et
avait trouvé ce chiffre dans un manuel de français à l'usage des
étrangers portant le titre approximatif de Conversations
avec Monique. Il s'agissait, évidemment,
également des médecins diplômés en Roumanie ayant émigré en
France, comme ce fut le cas du docteur Drucker de Cernauti, le père
de Michel Drucker, le bien connu animateur de télévision.
47
Voir les détails de la convention du 2 juin 1920 chez Ioan
Scurtu, Istoria românilor în timpul celor
patru regi (1866-1947), II, Ferdinand I
(Histoire des Roumains au temps des quatre rois (1866-1947),
Bucarest, 2011, p. 104.
48
Dinu Zamfirescu, préface à Dumitru Dobre, O
istorie în date a exilului si emigratiei românesti (1949-1989)
(Une histoire chronologique de l'exil et de l'émigration roumaine),
Bucarest, 2013, p. 8.
49
E. Ciurea, Le Traité de paix avec la
Roumanie du 10 février 1947, Paris,
1954.
50
Traduit en roumain et enrichi d'un second volume de documents et
correspondance sur le même thème par D. Zamfirescu et alii,
România la Conferinta de pace de la Paris,
2 volumes, Bucarest, 2007 et 2011.
51
D. Cornea, "Contributii la cunoasterea chestiunii "Fondul
elvetian" în lumina presei din exil si a documentelor
Securitatii" (Contributions à la question du "Fonds
suisse" à la lumière de la presse de l'exil et des documents
de la Securitate), in Caietele INMER
(Institut National pour la Mémoire de l'Exil Roumain), VI/14
(Bucarest, mars 2009), p. 29-34.
52
Raoul Bossy, Jurnal (2 noiembrie 1940-9 iulie 1969), éd. I. Mamina,
Bucarest, 2001, p. 343 < et suiv.
53
Voir leur liste chez D. Dobre, O istorie în
date, p. 282-284 et 294-296.
54
vers 1946-1948, la filière roumaine avait réussi à amener à
Vienne jusqu'à 75 personnes, uniquement des Juifs, par jour, cf.
C. Felix (pseudonyme de James McCargar), A
short Course in the Secret War, Lanham,
2001, p. 215. Ce succès s'explique par "the tacit
blessing of the Soviets" et au fait que le Joint accordait des
donations substantielles au Parti Communiste hongrois. Un des
acteurs de cette filière a été le sociologue Serge Moscovici qui
raconte dans ses mémoires avoir entrepris quelques voyages à
Vienne ajoutant qu'il était communiste mais espionnait les
sionistes roumains.
55
Sur le territoire de la commune Valea lui Mihai, près d'Oradea et à
12 km de la frontière hongroise, on a découvert des cadavres
ayant le ventre ouvert et les intestins à l'air, preuve qu'on les
soupçonnait d'avoir avalé des pierres précieuses, cf. Gh. Jurgea
Negrilesti, Troica amintirilor. Sub patru
regi (La troïka des souvenirs. Sous quatre
rois), Bucarest, 2002, p. 270.
56
Le récit d'une telle évasion à la fin de l'année 1947 a été
fourni par Theodor Cazaban, Captiv în lumea
libera (Captif dans le monde libre), Cluj,
2002, p. 76-78.
57
H. Coston, Le veau d'or,
p. 210 ; voir l'histoire de la famille telle qu'elle a été
présentée par l'actuel maire de Levallois Patrick Balkany au juge
d'instruction en 2016 et résumée par L. Valdiguié, L'Enquête
Balkany, Paris, 2017, p. 289-293. Voir
aussi Ph. Madelin, Dossier I… comme
immobilier, Paris, 1974.
58
Voir les circonstances de leur départ de Roumanie avec des
passeports en règle en 1947 chez S. Milcoveanu, Memorii,
Bucarest, 2008, p. 494-495, et l'achat en France des usines
Société Chimique des Usines du Rhône et Poulenc-Frères. On ne
peut donc plus soutenir l'affirmation de Jean-Luc Douin que la
famille Karmitz "fuyait la politique antisémite du maréchal
dictateur Antonescu allié à Hitler" (dans P. Ory, éd.,
Dictionnaire des étrangers qui ont fait la
France, p. 461). La dictature
d'Antonescu a pris fin le 23 août 1944, le maréchal a été
jugé et exécuté en 1946, alors que les Karmitz ont émigré à la
fin de 1947 ! Qui plus est, ils avaient continué leurs
activités professionnelles durant toute la période de la
dictature.
59
N. Djuvara, Amintiri,
p. 49-55.
60
N. Djuvara, Amintiri,
p. 120-123.
61
Idem, ibidem ; voir aussi M. Cazacu et Chr. Stefanescu, George
Cioranescu si exilul românesc. Documente din arhiva Fundatiei
Regale Universitare"Carol I"
(Georges Cioranescu et l'exil roumain. Documents de l'archive de la
Fondation royale universitaire "Carol Ier"), Bucarest,
2007.
62
Il avait notamment intenté, ensemble avec le bulgare G. Dimitrov et
le polonais J. Kowalewski, en 1952 à Paris un procès en
diffamation contre Renaud de Jouvenel, l'auteur d'un livre infecte
sur L'Internationale des traîtres
< agrarienne >, et son éditeur André Wurmser, et
l'avait gagné en dépit de la flopée de faux témoins venus de
Bucarest et d'ailleurs pour soutenir que la démocratie et la
liberté florissaient dans les pays de l'Est. Avec l'argent obtenu,
il avait publié l'année suivante un livre intitulé Les
communistes démasqués qui reproduisait les
plaidoiries et les dépositions des témoins.