Depuis
plus d’un an, des dizaines de milliers de Roumains se mobilisent contre
la corruption du Parti social-démocrate (PSD) au pouvoir, mais ce
mouvement n’est-il pas le faux-nez d’une vague ultra-libérale, visant à
discréditer toute idée d’intervention de l’État ? Le débat agite la
gauche roumaine, déjà faible, qui craint d’être encore plus
marginalisée.
La comparaison entre les vues aériennes
montrant les grands axes de Bucarest investis par les manifestants
anti-corruption, en janvier 2017 puis en janvier 2018, est trompeuse. Il
y avait beaucoup moins de monde cette année et, surtout, deux Premiers ministres
nommés par le Parti social-démocrate (PSD) ont été limogés entre temps
par ce même parti. La tension n’a pas baissé pour autant entre le chef
du PSD, Liviu Dragnea,
bien décidé à mettre un frein à la lutte contre la corruption qui
l’empêche d’accéder lui-même à la tête du gouvernement, et ceux qui font
tout pour l’en empêcher.
La persévérance du PSD, majoritaire au
Parlement, n’a d’égale que celle de ses opposants. Pourtant, la
principale force d’opposition, le Parti national libéral (PNL), n’a
toujours pas la cote au sein du mouvement, tandis que celle du mouvement
créé dans la foulée de la contestation, l’Union sauver la Roumanie
(USR), est en baisse. Même le Président Iohannis a été conspué par les
manifestants pour avoir accepté sans broncher la candidate proposée par
le PSD, Vasilica Dăncilă, pour le poste de Premier ministre.
Le
PNL est de droite, l’USR se présente comme « centriste », on pourrait
parler de centre-droit pour être plus précis. Et le PSD ? Le parti est
affilié à l’Internationale socialiste, mais encore ? Et ses contempteurs
du mouvement #Rezist, qui sont-ils ?
« Samedi 20 janvier,
quelque 10 000 Roumains venus à l’appel des ONG de Soros ainsi que
d’autres Roumains travaillant pour la plupart pour de compagnies
multinationales étrangères installées dans la capitale ont participé à
un rassemblement soi-disant anticorruption dirigé contre le gouvernement
socialiste anti-globalisation de la Roumanie et ses réformes
patriotiques et populaires », pouvait-on lire sur Fort Russ News,
un portail concurrent de Spoutnik et de RT. Si ce média n’était pas
russe, nombre de supporters du PSD se reconnaîtraient volontiers dans
cette présentation, avec quelques réserves peut-être pour le terme de «
socialiste ». En revanche, les croisés anti-corruption y verraient la
confirmation indirecte de ce qu’ils dénoncent depuis longtemps. C’est
pour dépasser cette opposition qui plombe la vie politique roumaine que
des prises de position et des analyses ont fusé dernièrement à propos de
l’attitude que la gauche devrait adopter par rapport à la lutte contre
la corruption.
COMMENT INSCRIRE LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION SUR UN AGENDA SOCIAL ?
Très partagée, l’intervention postée le 10 décembre sur sa page Facebook par Ciprian Şiulea,
enseignant, journaliste et traducteur, commence très fort : « Un
mouvement anticorruption de gauche est une aberration absolue parce que,
dans l’espace euro-atlantique, en particulier en Roumanie, le thème de
la lutte contre la corruption est une idéologie violente venant de la
droite anti-État et pro-privatisation. Le discours anti-corruption dit
clairement que la corruption est la cause de tout ce qui ne va pas bien
(l’apogée de l’aberration étant de faire reporter sur la corruption tout
ce qui ne va pas bien en matière de santé et d’éducation, des systèmes
drastiquement sous-financés) et que l’État est de par sa nature
inefficace, parce que corrompu, et doit par conséquent être démantelé. »
Cette mise en garde s’adresse aux syndicats, au nouveau parti Demos,
à tous ceux qui ont des convictions de gauche et qui seraient tentés
d’« inscrire la lutte contre la corruption sur un agenda social ». Elle a
eu un fort impact et a conféré une dimension explicitement politique au
débat entamé l’année dernière autour du « racisme social ».
Lancée
au départ comme une « méthode de réparation d’une démocratie malade »,
la lutte contre la corruption a été conçue comme « un mouvement et une
idéologie visant la prise du pouvoir », estime l’auteur dans la deuxième
partie de son intervention au titre peu équivoque : « Aucun compromis
avec l’anti-corruption ! » La « propagande avec la corruption » serait
une arme au service d’une « coalition hétéroclite formée de la droite
politique, des services de renseignements, des procureurs, qui cherche à
remplacer la vieille démocratie par un nouvel autoritarisme de droite
dure, l’équivalent des régimes chauvins de Hongrie et de Pologne ».
Sur
ce dernier point, l’auteur est repris dans plusieurs commentaires. Pour
corriger le tir, quelqu’un fait remarquer qu’en Roumanie la lutte
contre la corruption est plutôt un assemblage de libertarianisme
économique (État minimal) et de progressisme éthique (anti-famille,
anti-Église) ». Pour faire de la Roumanie un exemple d’occidentalisation
réussie, il faudrait ainsi éliminer le PSD, à cause de son
conservatisme social, mais aussi l’Église et son influence sociale.
L’ISOLEMENT DE LA GAUCHE
Dans sa tribune parue le 2 janvier sur CriticAtac sous le titre « L’anticorruption et la gauche »,
Vladimir Borţun salue l’analyse de Ciprian Şiulea mais avoue ne pas en
partager la conclusion. Doctorant en science politiques à Portsmouth, en
Angleterre, il développe à son tour la critique du discours
anti-corruption dont il souligne la dimension « néo-coloniale et
auto-coloniale ». Celui-ci ignore la corruption à l’Ouest et « contribue
à la légitimation de l’hégémonie occidentale », alors que la gauche
devrait « rejeter la rhétorique manichéenne-coloniale sur la corruption
et son usage comme outil de promotion des intérêts des grandes
puissances ». « Le monopole de la droite sur le thème de la corruption
ne signifie pas que la gauche ne peut pas le récupérer ». Elle peut et
elle doit le faire, insiste-t-il, tant d’un point de vue pragmatique que
tactique, puisque « l’anti-anticorruption isole davantage encore une
gauche déjà marginale ».
Répondant à un lecteur qui
l’interrogeait sur ce que l’on peut faire pour atteindre les buts
énoncés, Ciprian Şiulea, radical là où Vladimir Borţun se veut plus
politique, se montre encore plus minimaliste et évasif : « Nous partons
de très bas, l’idéal serait de construire des médias, des think-tanks,
pour défendre nos idées, mais nos ressources sont limitées. Peut-être
les conditions seront-elles un jour réunies pour créer un parti
politique… »
En réalité, les supports médiatiques qui véhiculent
les idées de Ciprian Şiulea, Vladimir Borţun et bien d’autres ne
manquent pas en Roumanie, et, depuis 2016, il existe aussi un parti de
gauche, Demos, ce qui n’empêche que la gauche soit quasiment inaudible
dans la vie politique du pays. D’aucuns tentent de s’ouvrir aux autres,
de communiquer. Tel est le cas de Vasile Ernu, cofondateur du portail
CritiAtac et auteur prolifique, entre autres d’un recueil de ses
chroniques intitulé Je suis un homme de gauche. Sur son blog hébergé par
le quotidien Adevarul,
paru le lendemain de la manifestation anti-corruption, au cours de
laquelle il a « beaucoup discuté et surtout écouté », il tente une «
conciliation » entre la « classe perdante » et la « classe abandonnée ».
« Ce que j’ai vu hier soir, c’est la protestation de gens mécontents.
Dans la rue, nous avons une classe sociale qui sent qu’elle a perdu et
entend avoir sa part lors de la répartition des profits et des
ressources. C’est son droit de le vouloir et de lutter pour cela. Mais
il existe aussi une autre couche sociale en Roumanie. Peut-être plus
nombreuse. La couche sociale non pas de ceux qui ont perdu mais de ceux
qui ont été abandonnés qui ne sont représentés par personne. Ils se
sentent abandonnés et affamés… »
Ces auteurs ont fait un choix
politique courageux, se sont engagés, ce qui est loin d’être le cas des
autres qui, en effet, pour des raisons historiques qui remontent,
au-delà de la période communiste, au climat de l’entre-deux-guerres,
véhiculent souvent des valeurs que l’on peut considérer comme étant
plutôt de droite, sans pour autant se positionner politiquement comme
tels. C’est vraisemblablement parce qu’ils les connaissent bien qu’ils
ont tendance à s’attaquer à eux, parfois avant même de s’en prendre aux
partis de droite. S’ils ménagent les pontes du PSD, c’est parce qu’ils
les estiment moins dangereux.
Or, ce sont bien ces caciques qui
exercent le pouvoir et empêchent que les problèmes systémiques du pays,
notamment ceux liés à la pauvreté, ne soient publiquement débattus et
que des solutions concrètes ne soient adoptées. « Finalement, Şiulea
soutient que ce sera peut-être encore pire, ce qui est vrai, alors
réjouissons-nous avec ce que nous avons puisque cela pourrait être pire
»... C’est peut-être bien là qu’est le problème.
Sursa Roumanie, la LUTTE CONTRE LA CORRUPTION EST-ELLE UN COMBAT DE DROITE, Courrier des Balkans, LE 10 février
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